Si dans la nuit du 13 août 1961, la RDA (République Démocratique Allemande) érige un mur qui coupe Berlin en deux et ferme le seul passage conduisant à l'Ouest, Berlin fut le théâtre d’affrontement entre les deux grandes puissances depuis la sortie de la Seconde Guerre Mondiale Dans le contexte de la Guerre Froide entamée en 1947, Berlin est le « terrain de jeu » de la confrontation idéologique.
Par les accords de Yalta et de Potsdam, Berlin, situé en zone soviétique, est divisé en quatre secteurs comme le reste de l’Allemagne. Une unification, se fait alors entre les secteurs dits de l’Ouest : Etats-Unis, France et Royaume-Uni ; à l’Est, secteur soviétique. Mais dans cette confrontation idéologique, Berlin divisé va être au cœur de deux crises majeures de cette Guerre Froide, en 1948 et en 1961 et cela va perdurer jusqu’à la chute de l’URSS dans la décennie 1990.
Quand la Seconde Guerre mondiale prit fin en Europe le 8 mai 1945, les troupes soviétiques et leurs alliés occidentaux sont séparés par une ligne de démarcation traversant le milieu de l'Allemagne. Du 17 juillet au 2 août 1945, la conférence de Potsdam esquissa l'après-guerre : les Alliés décidèrent de découper l'Allemagne en quatre zones d'occupation et Berlin en quatre secteurs, réaffirmant ainsi l’un des principes énoncés à la conférence de Yalta. Or, les secteurs occidentaux de Berlin étaient profondément enclavés dans la zone d'occupation soviétique, de sorte que les tensions résultant de la rupture de la « Grande Alliance » en 1947 se focalisèrent nécessairement sur l’ancienne capitale du Reich.
Légalement, Berlin garde le statut de ville démilitarisée (en soldats allemands), partagée en quatre secteurs et indépendante des deux États allemands ; en réalité la portée pratique de cette indépendance est très limitée : le statut de Berlin-Ouest s'apparente à celui d'un Land, avec par exemple des représentants sans droit de vote au Bundestag ; Berlin-Est devient, en violation de son statut, capitale de la RDA. C’est réellement la première crise de Berlin qui va être le premier exemple de la Guerre Froide qui conduit en mai 1949, la création de la R.F.A. (République Fédérale d'Allemagne) dans les zones britannique, américaine et française suivie de près en Octobre 1949, par celle de la R.D.A. (République Démocratique Allemande) dans la zone sous influence soviétique. La création de deux États consolide la division politique de Berlin. On commence alors des deux côtés à sécuriser et « étanchéifier » les frontières. Des douaniers et des soldats détachés à la surveillance frontalière patrouillent entre la RDA et la RFA ; de solides clôtures seront plus tard érigées du côté RDA.
Carte de l'occupation de l'Allemagne et de Berlin, après la Seconde Guerre mondiale a été organisée par les Alliés
Dès la fin de mars 1948, le Commandement Russe informe le Général Lucius CLAY, Commandant de la zone USA, en Allemagne qu’afin d’améliorer l’administration de la zone occupée par l’URSS, des fonctionnaires soviétiques contrôleront désormais les bagages et l’identité des voyageurs empruntant les trains militaires occidentaux à destination de Berlin.
Le 20 juin 1948, sans avoir consulté les Soviétiques qui, de toute façon auraient refusé, les trois zones occidentales adoptèrent le Deutsche Mark en remplacement de la monnaie d'occupation. Le 23 juin 1948, l'URSS franchit le pas et commença à bloquer les lignes de chemin de fer, les canaux et les routes en direction de Berlin-Ouest. D’après les Soviétiques, les droits d'occupation des Occidentaux à Berlin ne leur donnaient aucunement le droit d’utiliser librement les voies de communication terrestres. De fait, les Occidentaux n'avaient jamais négocié d'accord les autorisant à traverser librement la zone soviétique - alors que les trois couloirs aériens qu’ils empruntaient étaient garantis par des accords interalliés.
En réponse au blocus, le général Lucius D. Clay, gouverneur militaire américain, suggéra d’abord d'envoyer à Berlin-Ouest une colonne blindée ; elle éviterait toute provocation, mais serait préparée à se défendre. Le président américain Harry S. Truman de son côté, en accord avec ses conseillers, estimait qu’une telle opération comportait des risques inacceptables, car elle aboutirait éventuellement à une guerre dont les Américains auraient pris l’initiative. Le 25 juin 1948, le général Clay donna l'ordre de lancer la construction d'un gigantesque pont aérien (qui durera 324 jours) pour ravitailler Berlin-Ouest. Le 26 juin, le premier avion américain se posa à Tempelhof, suivi deux jours plus tard du premier avion britannique à Gatow. Le risque d’une confrontation militaire était réel, car Truman s'embarquait dans une opération dont la réussite humilierait publiquement les Soviétiques.
L'opération américaine fut appelée Operation Vittles (victuailles). Et le plan britannique de ravitaillement Knicker fut rebaptisé Carter Paterson, puis Operation Plainfare en juin 1948. Des centaines d'avions, surnommés Rosinenbomber (litt. Bombardiers de raisins secs) par les Berlinois, furent utilisés pour transporter vivres, matériel et matières premières, dont plus d’un million et demi de tonnes de charbon. Le 16 avril 1949, un avion allié atterrissait toutes les minutes, et 12 840 tonnes furent transportées ce jour-là. Les colis allaient du gros conteneur au paquet de friandises avec parachute pour les petits Berlinois. À côté de matériaux de construction pour les aéroports, on transporta essentiellement du blé, du charbon pour le chauffage et la production d'électricité, de l'essence et des médicaments. L'acheminement de ces énormes quantités fut possible grâce à un système efficace : les trois couloirs aériens furent utilisés en sens unique, les vols vers Berlin se faisant dans ceux situés au nord et au sud tandis que celui du centre servait aux vols de retour. Chaque pilote n'avait droit qu'à une seule tentative d'atterrissage. S'il échouait, il devait revenir avec la totalité de son chargement. Grâce à ce système, il était possible de faire atterrir un avion toutes les trois minutes en moyenne. Le stationnement au sol dans Berlin-Ouest fut réduit à une demi-heure.
Le 4 avril 1949, en pleine crise, les gouvernements occidentaux signèrent le traité de l'Atlantique Nord. Un des articles du traité précisait que « les parties, c'est-à-dire les pays signataire, conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. » L'URSS leva le blocus le 12 mai 1949 à 0 heures. Cependant, les Occidentaux voulant s’assurer que Berlin-Ouest pût affronter un éventuel nouveau blocus, le pont aérien fut maintenus jusqu’au 30 septembre. Il avait coûté la vie à 76 participants, suite à des accidents et une collision en vol entre un avion de combat de l'Armée rouge et un appareil britannique lors des multiples tentatives d'obstruction des forces soviétiques telles le lâcher de parachutistes sur les trajectoires d'approche. À la fin du blocus, les Alliés avaient effectué 278 228 vols, et 2 326 406 tonnes de fret avaient été acheminées à Berlin-Ouest. De nombreux civils berlinois sont également décédés durant le blocus à cause de la malnutrition et de la maladie, en particulier la tuberculose.
Harry Truman, dans ses Mémoires écrites en 1956, analyse la crise du blocus de Berlin : « Il était visible que les Russes étaient résolus à nous faire partir de Berlin (...). Le blocus était la contre-attaque du communisme international et le Kremlin avait bien choisi son objectif ; si nous ne parvenions pas à y maintenir notre position, le communisme s'en trouverait profondément renforcé dans l'opinion publique allemande. Or, notre position dans la capitale était précaire et si nous voulions nous y accrocher, il fallait montrer notre force, malgré le risque toujours présent d'une réaction russe qu eût conduit à la guerre. Il nous fallait tenir compte de la possibilité que la Russie eût délibérément choisi de faire de Berlin le prétexte d'un conflit. »
En février 1961, toute l'attention est sur la question de Berlin. Khrouchtchev réitère sa menace de signer un traité de paix séparé avec la République Démocratique d'Allemagne, ce qu'il placerait Berlin-Est sous sa souveraineté. Le dirigeant soviétique cherche-t-il à tester le président américain John Kennedy, qu'il juge timoré et pusillanime ? Où est-on à nouveau dans une poussée de l’extrémisme tel que le régime soviétique ? En 1961, Khrouchtchev décide d'isoler Berlin-Ouest et, dans la nuit du 12 aux 13 août, est entrepris la construction d'un mur de séparation. Un document diffusé par le département d'État américain, en date du 19 juillet 1961, expose le statut de la ville depuis le bloc de Berlin de 1948-1949, les secteurs occidentaux de Berlin constituent un enjeu dans l'affrontement Est-Ouest. L'Allemagne de l'Est (RDA), sous contrôle soviétique, perd beaucoup de ses habitants attirés à l'Ouest, on peut estimer le déplacement de populations entre 1949 et 1961 à environ 3 millions, en juillet 1961, 30 000 Allemands de l'Est dont la moitié ont moins de 25 ans, sont ainsi passés à l'Ouest. Par conséquent au cours de l'été 1961, des mesures sont mises en place pour limiter ses déplacements, conscients que Washington ne pliera pas face aux injonctions soviétiques, Khrouchtchev décide d'isoler Berlin-Ouest par la construction d'un mur de séparation.
Une photo entrée dans l’Histoire, celle de ce vopo, Conrad Schumann, policier de la milice populaire, qui saute par-dessus un fil de fer barbelé pour gagner la partie occidentale de la ville. Comme ce vopo, des centaines d'Allemands de l'Est ont risqué leur vie en recourant à cette ultime possibilité pour gagner Berlin-Ouest. Depuis la création de la RDA en septembre 1949, plus de deux millions et demi de personnes l'ont quittée ; parmi elles, se trouvent des ouvriers qualifiés, des cadres, des universitaires, des paysans venant de tout le pays et profitant du statut quadripartite de la ville pour gagner l’Ouest. L'économie du pays ne peut plus supporter d'aussi nombreux départs. C'est la raison pour laquelle Walter Ulbricht, président de la RDA, fait construire ce « mur de protection antifasciste », selon l'appellation officielle de son gouvernement. Il a ainsi bon espoir de consolider son régime.
L’URSS et la RDA entend se protéger en enfermant ses sujets comme dans une prison et en imposant des frontières comportant des lignes de franchissement mortelles, des installations de tir automatique et des miradors depuis lesquels les gardiens ont ordre de tirer sur toute personne tentant de s'enfuir. Soixante-dix personnes trouvent ainsi la mort entre 1961 et 1989. Sans ces mesures, les chefs politiques de la RDA ne pensent pas être capables de retenir la population dans le pays. Pour les Allemands, de I'Est comme de l'Ouest, la construction du mur provoque un choc considérable. En une nuit, les Berlinois se trouvent séparés par un «mur de la honte », des familles sont divisées et les habitants de l’Est plus que jamais objets de pressions.
Les États-Unis ont une place mondiale et ils ont rejeté l'isolationnisme, en effet, le jeune président démocrate se présente nettement comme combattant déterminé de l'adversaire communiste avec sa vision de New Frontier.
Ce qu'il avait exprimé sans ambages, en pleine campagne électorale, en septembre 1960 dans un discours à Salt Lake City : « Pour l'ennemi, le système communiste est lui-même - implacable, insatiable, incessant dans sa commande pour la domination du monde. […] Pour ceci, ce n'est pas une lutte pour la suprématie seuls des bras - c'est également une lutte pour la suprématie entre deux idéologies contradictoires : Liberté sous Dieu contre la tyrannie impitoyable et athée. »
On peut y voir une vision idéaliste, qui sera réaffirmé dans le discours d'investiture du 21 janvier 1961 : « Que chaque nation, amie ou ennemie, sache que nous paierons n'importe quel prix, supporterons n'importe quel fardeau, ferons face à n'importe quelle difficulté, soutiendrons n'importe quel ami, nous opposerons à n'importe quel ennemi pour assurer la survie et le succès de la Liberté […] Contre les ennemis communs de l'homme : la tyrannie, la pauvreté, la maladie et la guerre elle-même. »
Le président Kennedy se garde bien de provoquer un face-à-face, afin d'éviter de retomber dans un blocus à l'image de celui de 1948-1949 et se contente de protestation symbolique pour assurer que son pays défende la liberté de la partie ouest de la ville par tous les moyens. Et fort de sa stature de leader du monde libre, à la fin du mois de juin 1963, le Président se rend à Berlin et prononce sur la place de l'hôtel de ville, à Berlin-Ouest un discours qui reste dans la mémoire collective à cette simple expression : « Ich bin ein Berliner ».
La déception due à l'inertie des Occidentaux la désillusion causée par le renforcement de la guerre froide qui s'ensuit, dicte à l'Allemagne de l'Ouest une nouvelle politique à I'Est. Willy Brandt, alors maire de Berlin, en amorce la révision : la frontière à l'intérieur de son propre pays est la condition de la paix dans le monde où l’équilibre des grandes puissances repose sur un pacte atomique. Le problème posé par la frontière qui partage l'Europe en deux ne peut être réglé qu'avec la RDA, la Pologne et I'URSS. Il s'agit d'abord de conduire par une « politique des petits pas » à un changement qui entraînera un rapprochement réciproque. La politique de Brandt écarte cependant toute reconnaissance de la RDA.
Emblème d'un monde bipolaire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Mur de Berlin va être la première marche de la fin de l'URSS avec sa chute le 9 novembre 1989 qui conduira à la réunification des deux allemagnes.
Pour aller plus loin :