C’est de l’hôpital Cochin que Jacques CHIRAC lance la première pierre dans la marre de la campagne européenne de 1979, avec son Appel du 6 Décembre qui portera par la suite le nom d’Appel de Cochin. Le journal Le Matin de Paris, du 7 décembre 1978, titre « CHIRAC déclare la guerre à l’Europe de Giscard » ou encore le journal Le Monde du 8 décembre 1978 titre ‘‘ M. CHIRAC dénonce le dessein du « parti de l’étranger » ’’ .
« Mesdames et messieurs, bonsoir.
En ce 26 novembre 1978, l’information de la journée Jacques CHIRAC, Président du Rassemblement Pour la République, et Maire de Paris, vient d’être victime d’un grave accident de la route, en Corrèze ou il se rendait, pour poser la première pierre d’une maison de retraite, en compagnie de Mme Claude Pompidou. Le Maire de Paris a été transporté de Limoges à Paris en avion, afin de recevoir les soins nécessaire à l’hôpital Cochin. » Retranscription du Journal télévisé du 26 novembre sur Antenne 2
Jacques Chirac est connu, de nos jours comme le chef d’Etat incontestable qu’il a été notamment en s’illustrant avec son opposition à la politique du président américain Georges W. Bush mais dans cette fin des années 70, on est encore loin de cette image de président même si lui-même y songe constamment.
Ce ‘‘Jeune Loup’’ de la politique, pour reprendre le terme employé par Olivier-Franz GIESBERT (Jacques CHIRAC, Ed. du Seuil, Paris, 1987), a débuté très tôt en politique, avec les législatives de 1967 ou il se fait élire député de Corrèze et un mois plus tard est nommé Secrétaire d’Etat à l’Emploi, durant la crise de mai 68, il deviendra l’intermédiaire privilégié entre le Gouvernement et les syndicats, ce qui conduira aux accords de Grenelle, selon Jean-François SIRINELLI (Histoire La France et les Français).
Sous la présidence de Georges POMPIDOU, c’est la fulgurante ascension politique, en occupant des postes ministériels de plus en plus importants : au Budget dans un premier temps, où il surveille, glisse t’on d’une oreille à l’autre, dans les couloirs feutrés des ministères, son ministre de tutelle un certain Valérie Giscard d’Estaing.
En janvier 1971, c’est le portefeuille de ministre aux relations avec le Parlement, puis à partir de 1972, il devient Ministre de l’Agriculture, un poste qu’il affectionne particulièrement et en mars 1974, Jacques Chirac devient n°3 de l’Etat, avec le Prestigieux poste de Ministre de l’Intérieur.
Mais l’Histoire continue sa route, le 2 avril 1974, le Président POMPIDOU décède, Jacques est fortement touché par la perte de son mentor, il était son protégé et tout naturellement les plus proches conseillers du président Marie-France GARAUD et Pierre JUILLET le reprennent sous leurs ailes.
Jacques CHIRAC en fervent opposant au jeune François MITTERAND va manœuvrer en faveur de Valérie Giscard d’Estaing, lors de la présidentielle de 1974 et aussi car il est contre la candidature de Jacques CHABAN-DELMAS, mais il laissera échapper cette phrase : « Si j'ai soutenu GISCARD ce n'était certainement pas pour lui faire plaisir. je n'ai jamais eu d'atomes crochus avec lui... en politique comme dans la vie, il en va souvent ainsi: quand on n'a pas ce que l'on aime, il faut aimer ce que l'on a. » dans La Double Méprise, de NAY Catherine.
Dés l’élection du troisième président de la Vème République, Valérie GISCARD D’ESTAING, Jacques CHIRAC est nommé à 41 ans au poste de Premier Ministre mais le ‘‘Hussard du Néogaullisme’’ va se sentir à l’étroit dans son carcan de n°2 de l’Etat, car la politique du président n’est pas dans l’orientation de ses idées politiques et le 25 août 1976, il démissionne de son poste ministériel et fonde dans le quasi-même temps le Rassemblement Pour la République, dont il donne les lignes directrices lors d’un meeting au Parc des expositions de la Porte de Versailles, le 5 décembre 1976 : le ‘‘rassemblement à l’origine des projets gaullistes et la référence à la République’’ et devant plus de cinquante mille militants, Jacques CHIRAC est élu Président du mouvement avec un résultat au plébiscite quasi napoléonien avec prés de 96%.
Avec cette ouverture politique, Jacques CHIRAC se lance, dès janvier 1977, sur les conseils de Charles PASQUA, Pierre JUILLET et Marie-France GARAUD dans la bataille des municipales de Paris. Véritable camouflet volontaire au Président de la République et à son Premier Ministre qui avait rendu un arbitrage en faveur d’un certain Michel d’Ormano et en mars 1977, Jacques CHIRAC est élue Maire de Paris, avec 67 voix contre 40.
Rien n’arrête à partir de cet instant l’ambition du Président du RPR, avec en perspective principale les élections présidentielles de 1981. Seulement, les élections législatives de 1978 sont favorables au pouvoir en place et le Président Valérie GISCARD D’ESTAING prend ce résultat comme un plébiscite de sa politique, l’ouverture gouvernementale se fait envers les gens issus du RPR certes, mais hostile à Jacques CHIRAC, tel qu’Alain PEYREFITTE, nommé Garde des Sceaux.
Et c’est dans ce contexte, qu’une nouvelle échéance se profile dans l’horizon politique français, les élections Européennes de juin 1979 et de l’hôpital de Cochin, le 6 décembre 1978, Jacques CHIRAC lance son Appel dit de Cochin, au vue du lieu ou se trouve le Président du RPR. Cet appel est officiellement signé de Jacques CHIRAC mais l’auteur ou plus exactement les auteurs sont les deux plumes et têtes pensantes de l’ombre du Président du RPR, Marie-France GARAUD et Pierre JUILLET.
Selon Bernard BILLAUD, Marie-France GARAUD et Pierre JUILLET sont attachés au verbe et ils se réjouissent de cette bataille à venir et Pierre JUILLET dira même :
‘‘Nous avons trois mois pour tout gagner … ou pour tout perdre.’’ de Bernard BILLAUD, D’un Chirac l’autre,
C’est ce texte que nous avons à l’étude, entre dans le cadre de la précampagne du RPR, pour les premières élections au suffrage universel du Parlement Européen jusque là en effet les parlementaires étaient désignés par les parlementaires nationaux des pays membres de la Communauté Economique Européenne. Ce texte est diatribe violente contre l’Europe, dénonçant notamment un « parti de l’étranger » et mettant en garde les Français contre la politique actuelle sur l’advenir de l’Europe. Dans un premier temps, Jacques Chirac annonce qu’avec cette construction Européenne, une grave menace pour la France, le maintien de son rang dans l’échiquier politique reste un mythe de technocrates pour conduire vers une perte de prédominance française. Dans un second temps, il analyse l’élection à venir avec ses craintes pour le peuple français. Il enfonce le clou en avançant quatre arguments :
1 L’asservissement politique avec l’illusion du gouvernement français à croire que les attributions de l’Assemblée resteront celles du Traité de Rome de 1957 et que l’Europe ne sera pas sous dominances américaines.
2 La perte d’autonomie législative sur les politiques économiques sur le plan agricole et industriel par exemple.
3 Le risque d’appauvrissement national de la politique agricole et institutionnelle avec l’ouverture de la CEE à l’Espagne et au Portugal.
4 La politique communautaire ne doit pas empêcher la France de mener sa propre politique étrangère.
Jacques CHIRAC réaffirme son refus de cette Europe vassale des États-Unis mais favorable à une Europe européenne où la France a la certitude de son autonomie politique, car son indépendance et son avenir ne sont pas négociable. Le « parti de l’étranger » est pour l’abaissement de le France. Jacques Chirac termine sur un appel à la résistance.
L’Appel à la résistance, dans la ligne Droite de l’Appel du 18 Juin
A la première lecture de cet appel, on sent une profonde inspiration des appels à la résistance du Général qu’il avait lancé de l’Angleterre, durant les conflits de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, dès le début du discours, Jacques CHIRAC par sa phrase : « Il est des heures graves dans l'histoire d'un peuple où sa sauvegarde tient toute dans sa capacité de discerner les menaces qu'on lui cache. » le ton est donné, nous sommes en présence d’un mise en garde contre un ennemi à savoir l’Europe américanisée.
Le registre de langage utilisé par Jacques CHIRAC est passionné et empathique, il croit sincèrement en son propos même s’il n’utilise pas la première personne du singulier mais le « nous », et cela à neuf reprises.
Le dramatise du constat qu’il fait de l’état de la politique rappelle encore est toujours le constat de première défaite en 40 mais que la situation n’est pas désespérée car la solution c’est « nous », le « peuple français » qui l’avons en main par notre expression aux urnes.
Il adresse son discours non pas à ses partisans mais bien à la France entière que l’on peut relever par les termes « peuple », « grande nation »ou bien encore « Français » on est bien en rappel des affiches qui retranscrives un résumé des appels du 18 et 20 juin 40 : « A tous les Français », « Notre patrie ».
Jacques CHIRAC ne se pose cependant pas en grand libérateur mais plus en informateur de la situation et en rassembleurs de la cause, le « nous » redondant en est l’illustration.
Le « Nous » fait référence bien sur référence au RPR, mais aussi dans le sens de l’appel à la résistance à toute les personnes « hommes vont se lever », la violence du verbe prouve bien que Jacques CHIRAC se place dans l’opposition politique et demandera même l’approbation par ses parlementaires de ce texte, ce qui entraînera d’ailleurs une tentative d’hostilité de la part de certains gaullistes, tel qu’Alain PEYREFITTE et Jacques CHIRAC lui donnera l’ordre de démissionner du mouvement, ce dernier s’y refusant se verra suspendus par les instances de son départements, la Seine-et Marne.
On voit bien ici le refuser de collaborer avec l’opposant ce qui sera réaffirmer par la création de la liste indépendante au sein de la majorité la Défense des Intérêts de la France en Europe (DIFE) avec comme colistier Michel DEBRE.
L’Appel à la résistance, ou la Sauvegarde de la France
Le discours de Cochin est entièrement orienté sur cette objectif très gaulliste : la sauvegarde de l’honneur et du prestige de la France et cela passe par la volonté de se positionner face au constat de la situation présente et Jacques CHIRAC se pose en éclaireur sur la politique actuelle et accuse les hommes politiques au gouvernement de tromper les citoyens « derrière le masque des mots ». Il matérialise ainsi toutes les suspicions des Français à l'égard de la classe politique : les hommes politiques sont des « technocrates » tandis que lui se place du côté de la nation, en effet, la première personne du pluriel s'oppose à « nos gouvernants » et à « certains » désignant les classes dirigeantes et non pas l’ensemble des politiciens.
La Nation est au dessus des revendications partisanes et Jacques CHIRAC l’exprime bien en parlant avec ces termes redondants de « peuple », « nous », « une France digne et forte », »l’honneur de la France » ou encore « Patrie » la nation doit être mise en garde du danger qui quête. Et avec cette rhétorique il souhaite non se placer en chef de parti mais en guide, comme le Général avec son appel, sa conviction de « révolte » car bien sur il ne veut pas renverser la République en place, et martelé par le « NON » récurent puisqu’il est présent six fois dans le discours. Son discours entier est fondé sur le refus : beaucoup de phrases sont formulées à la négative comme « on ne veut pas la faire », dans la dernière partie de son appel, il reprend en fait sa trame du début dans trois phrases courtes et saccadées : « NON à la politique de supranationalité. NON à l'asservissement économique. NON à l'effacement international de la France. »
Selon Annie COLLOVALD, (dans son livre Jacques CHIRAC et le Gaullisme) Jacques CHIRAC s’est enfermé dans un jeu politique qui lui a nuit car en se mettant en opposition au gouvernement en place, il ne peut plus être dans la majorité, et par cet offensive politique il met son parti en danger car il se divise comme nous l’avons vu plus haut.
On voit très vite que Jacques CHIRAC voit l’élection à venir comme le moyen de rendre vulnérable la France par son « Inféodation », elle constitue « un piège » et il insiste beaucoup sur le champ lexical du danger: il utilise ainsi quatre fois le terme « menaces ».
Jacques CHIRAC considérant que la présente politique de construction européenne est responsable de « l'inféodation de la France » et insiste sur les conséquences de cette construction en termes très négatifs : « inféodation », « abaissement », « asservissement économique », « effacement »…, ces termes recouvrent une pluralité de craintes déjà bien présentes dans l'imaginaire collectif français , à savoir la peur de ne plus avoir une identité propre mais d’être fédéré dans un groupe de pays par des accords politico-économique sans le soucis des racines de chacun.. La logique commanderait que ses différents arguments soient classés par ordre d'importance, du moins au plus important, or Jacques CHIRAC place en premier lieu ce qui constitue la raison d'être du texte, à savoir son refus d'une politique européenne qui négligerait donc les intérêts français.
Extrait du Journal LE MONDE du 8 Décembre 1978
L’Appel à la résistance, ou le Fantôme Gaulliste
Jacques CHIRAC, comme le général De Gaulle, possède une vision très claire de la France dans l’échiquier mondial et son objectif premier est de préserver cette France. Il craint avant tout que la construction européenne ne se fasse qu’« au préjudice des intérêts nationaux ». Sa conception de l'Europe semble somme toute assez limitée, puisqu'il la place dans une situation de concurrence, beaucoup plus que de coopération avec la France car il craint que notre économie « agricole » et « industrielle » ne soit détruit au détriment de la CEE et de sa « zone de libre-échange »car pour lui cette dernière n’est actuellement qu’« un empire de marchands » dominée par un libéralisme outrancier qu'il récuse.
Jacques CHIRAC voit poindre une menace plus grande provenant d’« une Europe fédérale ne manquerait pas d'être dominée par les intérêts américains », en cela, il rejoint une idée gaulliste, celle du grand danger de l'impérialisme américain qui avait conduit le Général a doté la France de son appareillage militaire atomique afin d’avoir son indépendance face à la suprématie américaine et le retrait du protectorat de l’OTAN. Rappelons qu’en 78, nous sommes encore dans la guerre froide intense où les Etats-Unis dominent tout le bloc occidental, et l’URSS le bloc de l’est.Donc, pour lui les votes européens seront « sensibles aux influences d'outre-Atlantique ». Dans cette phrase, on peut voir que Jacques CHIRAC vise particulièrement la Grande-Bretagne, qui comme chacun sait a toujours entretenu des liens très étroits avec les Etats-Unis, là encore on retrouve la méfiance gaulliste envers les Etats-Unis oui mais pas seulement car dans un discours de campagne pour l’élection européenne, Jacques CHIRAC dit : « Mais certain vont me dire, vous êtes nationaliste, vous êtes contre l’Europe. Je réponds OUI, dans ces conditions, je suis nationaliste parce que je suis patriote. […] Cette Europe non européenne mais dominé par les intérêts germano-américains. […] A d’autres les caressantes paroles du renoncement, à nous l’inconfort de l’honneur. » On comprend parfaitement l’impact qu’il veut donner à ces concitoyens, une prise de conscience clair sur la situation malgré « l’inconfort » d’être honnête et honorable.
« Les Gaullistes sont pour l’organisation de l’Europe » est l’un des chapitres qui est expliqué dans la charte de la DIFE et qui stipule que les Gaullistes ont un vison bien différent de l’Europe par rapport aux gouvernants en place. Comme nous avons pu le voir dans cette première partie, la défense et la sauvegarde de la place de la France est le cheval de bataille de Jacques CHIRAC au niveau européen mais nous allons voir aussi à présent que le second message inscrit dans ce texte et une diatribe violente contre la politique de Valérie GISCARD D’ESTAING et Raymond BARRE.
L’offensive contre « Le Parti de l’Etranger »
Yves GUENA explique que « le parti de l’étranger » est « une formule qui est rude, pour le Président de la République mais choisit. »
Pierre JUILLET confit : « il va y avoir du sang sur les murs ! »
Cela se passerai presque de commentaire, en effet cette formule dur a bel et bien était choisi la représentation de ce « parti » est le Président en exercice Valérie GISCARD D’ESTAING et par extension le Gouvernement et son Premier Ministre Raymond BARRE.
Raymond BARRE était déjà au courant de cette attaque, puisqu’il en témoigne :
« Au retour des vacances de 1977, nous invitons ma femme et moi, Jacques Chirac et son épouse à venir dîner à Matignon. Nous faisons un très bon dîner et puis nous allons nous promener dans le par cet à un moment Jacques Chirac me dit : « Raymond, il faut que je vous dise, nous ailons vous attaquer. Nous n’allons pas attaquer Raymond Barre, que nous connaissons que nous estimons. Nous allons attaquer le Premier Ministre de Valérie GISCARD D’ESTAING. »
Jacques CHIRAC s'en prend ouvertement à la façon dont le Premier ministre Raymond BARRE mène l'économie française, il affirme d'abord qu'« on ne saurait demander aux Français de souscrire ainsi à leur asservissement économique, au marasme et au chômage » et accuse « la politique économique propre au gouvernement français » de mener "aux mêmes résultats".
Or Raymond BARRE rappelons a remplacé Jacques CHIRAC comme premier ministre le 25 août 1976 Valérie GISCARD D’ESTAING le qualifie alors de « meilleur économiste de France », ce à quoi Raymond BARRE réplique le 27 août 1976 : « le meilleur économiste français ? En tout cas un des tout premiers » car les raisons économiques ont poussé le Président à faire ce choix, en effet la crise économique profonde dans laquelle la France s'enlise est conséquente au choc pétrolier de fin 1973 se caractérise surtout, par une inflation excessive (rythme annuel de 15, 6% en 1974).
Aussitôt le gouvernement Chirac constitué, il doit se préoccuper d'une situation où la croissance s'accompagne d'une forte inflation : la direction de la politique économique lui échappe et devient le fait du Président de la République par l'intermédiaire de J.P. Fourcade. Il se produit un phénomène de stagflation, c’est-à-dire que la croissance ralentit, le chômage augmente mais l'inflation reste très forte.
Le plan de rigueur de Raymond BARRE est très mal accueilli par l'opinion, mais les derniers mois de 1977 marquent une certaine embellie. On peut donc trouver assez ironique le fait que Jacques CHIRAC accuse le gouvernement de Raymond BARRE de laisser les Français dans "l'asservissement économique", le "marasme" et le "chômage", trois notions assez floues et imprécises, alors que lui-même en son temps n’a pas su se dépêtrer de ce fastueux dossier en tant que Premier Ministre.
Cependant, on sait que Jacques Chirac est contre le plan Barre car ce dernier a effectué un tournant très libéral au cours de l'année 1978, il s’explique dans un entretien dans Le Monde du 1er Mars 1979 : « Les circonstances actuelles rendent plus visible ce qui était depuis longtemps discernable, et que j’ai exposé déjà en de nombreux écrits et discours, une crise profonde affecte la France dans un monde lui-même troublé et incertain. […] Nous ne la surmonterons pas avec les seules recettes du libéralisme conservateur, ce libéralisme pur n’a aucune chance de réussir en France, en autres raisons parce qu’il n’a, pour commencer, aucune chance d’y être appliqué avec la logique qui conditionnerait ses vertus, réelles ou supposées. Il impliquerait que nous regardions froidement s’effondrer des pans entiers de notre &économie, afin qu’un jour, peut être, une reprise spontanée ne commençât à susciter de nouvelles offres d’emploi, en d’autres professions, en d’autres lieux, voire en d’autres pays ou en d’autres continents. »
Après la victoire de la majorité aux élections législatives, Raymond BARRE peut appliquer une politique économique neuve, confronté aux hausses du chômage et de l'inflation liées à la crise économique mondiale des chocs pétroliers, il mène une politique d'austérité économique, plus couramment nommée par les économistes comme celle de « la rigueur » même s'il croit au rôle fondamental de l'Etat en la matière, il tient à assurer une libre concurrence totale et à veiller à ce que rien ne l'entrave.
Le Duel Chirac/Giscard RPR contre UDF
Même si le Président du RPR Jacques CHIRAC s’en défend dans une longue explication : « Certains aujourd’hui voudraient m’opposer au Président de la République. Ils perdent leur temps. Ma conception du service de l’Etat, mon attachement à la Vème République sont trop rigoureux pour que je sois jamais tenté de le faire. Il est le garant de nos institutions, élu du peuple français, et nul n’a le droit de contester sa légitimité, sa primauté et ses pouvoirs, si ce n’est le peuple lui-même quand il est normalement consulté. Ma position à cet égard est claire. Je n’y reviendrai pas. J’espère avoir été compris. » (Jacques CHIRAC, L’Appel au Rassemblement, Magazine Rassemblement Actualités n°25, Juillet 78, Paris)
Mais la vérité est bien plus difficile encore à percevoir dans cette citation il parle bien de la Fonction, mais pas de la personne et dans le cas présent Valérie GISCARD D’ESTAING que Jacques CHIRAC va s’attaquer mais au-delà aussi à l’UDF. Il attaque pourtant directement le « président de la République » qu'il soupçonne de signer consciemment le « déclin de la patrie ».
Jacques CHIRAC s'insurge ensuite contre l'UDF tout entière, qu'il traite de « partisans du renoncement et les auxiliaires de la décadence », après sa démission de son poste de Premier ministre, Jacques CHIRAC reprend son siège de député de Corrèze, comme nous l’avons vu en introduction, il affiche alors la volonté de réaffirmer le rôle du mouvement gaulliste face au rassemblement « libéral, centriste et européen » dans lequel le président et les autres composantes de la majorité tentent de l’‘‘enrôler’’et il comprend alors que la seule façon de préserver la tradition gaulliste est de se séparer de la majorité et de créer son propre mouvement revendiquant ainsi une entière légitimité politique sur la scène française, sortie du carcan de la majorité présidentielle si le besoin s’en fait ressentir, l’appel du 6 décembre en sera l’illustration.
Pour Jacques CHIRAC, le "renoncement" et la "décadence" auxquels il fait allusion sont certainement l'abandon des valeurs gaullistes que lui s'applique à perpétrer, l'appellation « parti de l'étranger » qu'il évoque est selon Edouard BALLADUR, qu’a interviewé Christine CLERC (Jacques, Edouard, Charles, Philippe et les autres…, Ed. Albin Michel) « une véritable provocation et déclaration de guerre à Valérie GISCARD D’ESTAING, aux centristes et à tous ceux qui plaident pour le renforcement de l’Europe, à cette époque. »
Valérie GISCARD D’ESTAING se pose même la question dans ses mémoires : « Le parti de l’étranger ! L’expression enflamme les commentateurs, enchantés que l’acte d’accusations soit enfin tombé. Mais ce « Parti de l’étranger », quel est il ? […] Pense-t-il à l’UDF ? »
Valérie GISCARD D’ESTAING renfonce le clou en expliquant dans une interview à Paris Match, que la position politique sur l’Europe de Jacques CHIRAC est que « Il ne s’agit pas pour la France, come elle l’a fait depuis vingt-cinq ans, de s’associer avec ceux aux côtés desquels elle s’efforce de bâtir l’union de l’Europe, mais bien de regarder l’Europe « du dehors », en ayant pour seul objectif d’y défendre les intérêts nationaux de la France, intérêts qui sont souvent assimilés à la puissance des lobbies plutôt qu’identifiés à une réflexion sur la longue histoire de notre pays. »
De son côté, Jacques CHIRAC réattaquera pendant toute la campagne avec le même verbe : « Depuis plusieurs semaines, nous assistons à une extraordinaire entreprise de mystification de la part des responsables de la liste officielle conduite par Mme Simone VEIL et parrainée par M. BARRE. Il s’agit pour eux de capter une partie de l’électorat gaulliste et, pour ce faire, d’accréditer l’idée que la politique européenne du gouvernement actuel se situe dans la ligne de celle que, pendant plus de quinze ans ont conduite le Général de GAULLE et Georges POMPIDOU. Cela est faux et je voudrais le prouver en rétablissant du même coup une vérité historique qui tient en une phrase : sur l’Europe ce qui nous sépare de l’UDF est incomparablement plus profond que ce qui nous unit. La vérité historique, c’est que depuis trente ans au moins, s’opposent deux idées nettement tranchées de l’organisation européennes. »
Il se dissocie à présent totalement de cette majorité à laquelle il appartenait quelques années plus tôt seulement, et en fait même son ennemi principal.
Ce discours rédigé par Pierre JUILLET et Marie-France GARAUD pour Jacques CHIRAC en décembre 1978, appelant au refus d'une Europe choisie par la majorité au pouvoir et stigmatisant le « parti de l'étranger », ouvre la voie du débats sur la construction européenne. On a pu voir que ce discours n’est pas si simple que cela et je dirai même aussi complexe dans ses diverses facettes que sont auteur officiel, cependant Jacques CHIRAC a su magner la « langue de bois » politique afin de faire passer le message qu’il souhaité dans un cadre de défenses des intérêts de la France, pour sa sauvegarde face à une politique européenne trop asservissante pour les Etats, il a fait véhiculer l’idée de séparation des gaullistes avec le pouvoir en place même si publiquement il aurai laissé attendre « qu’il avait fait une connerie ! » et tente de calmer le tumulte provoqué par son discours, en déclarant quelques jours plus tard à l'AFP que cette expression « parti de l'étranger » désigne « le parti de la renonciation nationale », c’est-à-dire un parti qui essaierait de créer « une Europe effectivement agencée au profit des intérêts germano-américains ».
Jacques CHIRAC a bien lancé une attaque calculé contre Valérie GISCARD D’ESTAING, dans l’optique des Présidentielles de 1981. Ce discours conduit donc naturellement à la présentation de deux listes séparées de la droite aux élections européennes de 1979, comme nous l’avons avec en tête de liste Jacques CHIRAC pour le RPR et son ancienne ministre de la santé pour l’UDF Simone VIEL. Le résultat des élections sera une victoire pour le pouvoir en place mais la guerre n’est pas finie même si Jacques CHIRAC a perdu une bataille, puisqu’il poussera son mouvement à la chute de Valérie GISCARD D’ESTAING, au second tour de l’élection présidentielle de 1981, face à François MITTERRAND, car comme lui même le dit : « La politique, c'est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire. »
Communiqué : « Appel de Cochin » de Jacques Chirac