Le 21 mars 1804, vers les 4 heures du matin, Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc d’Enghien, prince français de la branche de Condé, est fusillé dans les fossés du château de Vincennes, au motif d’avoir porté les armes contre la République. Un « crime d’état » pour les uns ; une « exécution légale » pour les autres, qui permit au Consul Bonaparte d’asseoir son pouvoir sur la Révolution.
La mort du Duc d’Enghien est décriée par les détracteurs de Napoléon Bonaparte qui fustigent pour l'occasion, son attitude purement dictatoriale et ses admirateurs, au contraire, ne peuvent que saluer la mort du duc, sacrifié sur l'autel du tout nouvel Empire naissant. « C’est pire qu’un crime, c’est une faute », selon Antoine Claude Joseph Boulay de la Meurthe, un acte politique qui fut, en soit aussi une manipulation de la part des proches du Consul, Fouché et Talleyrand, deux hommes qui l’ont eux-mêmes poussé au crime pour le bien et la pérennité de l’Etat.
Depuis la fin du Directoire, le pays connaît sur certaine stabilité politique interne, ainsi que sur le plan international, les conflits se sont apaisés avec la victoire de Marengo quatre ans plus tôt et la signature de la paix d'Amiens avec l'Angleterre en 1802. De plus, la signature du Concordat par le Premier consul en 1801 reconnaissant le catholicisme comme la religion « de la majorité des Français », et non plus comme religion d’État rassure la Saint Siège. Mais dans le même temps, les royalistes ouvertement opposés, se sont réorganisés depuis la fin du Directoire, avec l’aide de l’Angleterre, en particulier. On a tous en mémoire les diverses tentatives d’attentats, d’assassinats à l’encontre du futur empereur, à l’image de celui de la rue Saint-Nicaise, en décembre 1800, qui fait 22 morts et 56 blessés ; finalement, ce n’est pas moins d'une vingtaine de complots déjoués.
En 1803, les royalistes sont à nouveau sur les dents et les complots reprennent, probablement sous l'impulsion de Charles-Philippe de France, comte d'Artois (Futur Charles X) avec l’instauration d’un climat paranoïaque et délétère au plus haut sommet de l'État. La conjuration avec à sa tête, le chef chouan Cadoudal qui a pour mission d’éliminer « l'usurpateur » et préparer le retour du roi. Le projet prend forme, ladite « conspiration de l'An XII » consistait alors à s'emparer du Consul Bonaparte puis le mettre à mort, avant de déclencher une insurrection générale dans tout le pays, sous la direction d'un prince de la maison de Bourbon.
Mais l’affaire est ébruitée, alors une enquête policière est conduite sur la tentative d'assassinat du premier consul, le 28 janvier 1804. Les arrestations vont se succéder, jusqu’à celle de Cadoudal, chef des comploteurs, le 9 mars. À la suite des interrogatoires, menés par Pierre-François Réal, conseiller d'État chargé de la suite de cette affaire, Cadoudal révèle que les comploteurs attendent l'arrivée d'un jeune prince de sang royal. Mais dans un imbroglio, des noms circulent sur l’identité du Prince de sang ; Polignac ou le Comte d'Artois, mais aussi le nom du Duc d'Enghien fut évoqué, et par une suite de confusion lors des interrogatoires, dont ceux de Picot, de Bouvet de Lozier et de Le Ridant, les soupçons se tournent vers ce dernier. Forcé de réagir à ces attaques, le gouvernement consulaire décida de frapper fort et de faire littéralement un exemple. Louis XVIII est en Pologne ; le duc d'Angoulême, son neveu, est auprès de lui ; Monsieur, frère du Roi, le comte d'Artois, est installé en Angleterre avec son fils cadet, le duc de Berry. Les soupçons se portent donc sur le duc d'Enghien, qui réside à peu de distance du territoire français, dans un village situé à quinze kilomètres de la frontière, au pays de Bade, à Ettenheim.
Le 10 mars 1804, les trois consuls, Bonaparte, Jean-Jacques Régis de Cambacérès et Charles-François Lebrun, ainsi que les ministres Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (Relations extérieures), Joseph Fouché (Police générale) et Claude-Ambroise Régnier (Justice) se réunissent. Ils concluent à la culpabilité du duc et décident son enlèvement, sans se cacher que des embarras diplomatiques s'essuieront probablement. De plus, la police consulaire de Fouché, le sait en relation avec les ennemis du régime, émigrés comme royalistes de l'intérieur. Elle croit aussi savoir, mais elle se trompe, que Dumouriez lui a rendu visite. Le préfet du Rhin, enfin, signale, en partie à tort, d'importants rassemblements d'émigrés autour d'Ettenheim.
Le jour même, Napoléon Bonaparte ordonne à trois cents dragons de franchir le Rhin, de cerner la ville d'Ettenheim et d'y enlever le duc d'Enghien et sa suite. Le général Michel Ordener est placé à la tête du détachement de dragons du 26e régiment et doit aller se saisir de la personne du duc, ce qui est effectif, dès le 15, au petit matin, il cerne la maison du duc et s'empare de sa personne. Le duc d'Enghien, qui n'a pas été informé des accusations qui pèsent sur lui, est ramené en France et enfermé à la citadelle de Strasbourg. Dans sa maison d’Ettenheim, sont saisis diverses correspondances et papiers, mais après étude, on ne trouve aucune trace de participation à une conspiration. Le Duc d’Enghien est transféré cinq jours plus tard au château de Vincennes, le 20 mars 1804 vers cinq heures du soir.
Le capitaine-rapporteur commence à interroger le duc d'Enghien dans la nuit du 20 au 21 mars à partir de minuit, sur les faits qui lui sont reprochés : « avoir porté les armes contre la République, … avoir été et d'être encore à la solde de l'Angleterre [et] de faire partie des complots tramés par cette dernière puissance contre la sûreté intérieure et extérieure de la République » Le duc reconnaît deux forfaits qui rendent la sentence inéluctable : avoir porté les armes contre la France, avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, et le justifie ainsi : « Oui, j’ai fait la guerre au gouvernement républicain afin de soutenir les droits de ma famille et de mon rang et je suis prêt à la faire encore. J’ai même, dans ce but, effectué une démarche auprès du gouvernement de Sa Majesté britannique pour prendre du service dans son armée à l’occasion de la nouvelle guerre. Ma naissance, mes opinions me rendent à jamais l’ennemi de votre gouvernement. » Il sollicite alors une audience privée avec le consul Bonaparte, demande restée sans réponse et qui coupa court à l'interrogatoire.
La commission militaire, est formée pour juger le prisonnier « en exécution de l’arrêté du gouvernement en date du 29 courant, composée des citoyens Hulin, général commandant les grenadiers de la Garde des consuls, président ; Guiton, colonel du 1er régiment de Cuirassiers ; Bazancourt, colonel du 4e régiment d’infanterie légère ; Ravier, colonel du 18ème régiment de ligne ; Barrois, colonel du 96e ; Rabbe, colonel du 2e régiment de la Garde de Paris; le citoyen Dautancourt, remplissant les fonctions de capitaine-rapporteur ; tous nommés par le général en chef, gouverneur de Paris ».
Ce procès, sûrement l'un des plus rapides au monde, aboutit enfin sur la sentence finale, prononcée par le juge et copiée littéralement dans l'instant : « La Commission, après avoir donné au prévenu lecture de ses déclarations par l'organe de son Président, et lui avoir demandé s'il avait quelque chose à ajouter dans ses moyens de défense, il a répondu n'avoir rien à dire de plus, et y persister. - Le Président fait retirer l'accusé. - Le conseil délibérant à huit-clos, le Président a recueilli les voix, en commençant par le plus jeune en grade ; le Président ayant émis son opinion, le dernier, l'unanimité des voix l'a déclaré coupable, et lui a appliqué l'article... de la loi du... ainsi conçu ; et en conséquence l'a condamné à mort. »
C’est à charge et sans possible réelle défense, que cette instruction est menée, de plus, les militaires chargés du procès n'avaient en tout et pour tout en leur possession qu'un seul document en guise de preuve, puisque les documents saisis à Ettenhiem ne leur sont jamais parvenus. Comme le souligne un des membres de la commission, le colonel Ravier : « Mon général, déclare-t-il, je tiens à faire observer que nous ne remplissons pas les conditions exigées par la loi ; aucun témoin n’a été cité, le dossier ne contient aucune pièce à charge ou à décharge, enfin l’accusé n’a pas été pourvu d’un défenseur. Je me demande si, dans ces conditions, nous avons le droit de siéger. » Ainsi, la condamnation fut autant obscure pour le duc d'Enghien que pour l'Histoire, fait rare dans les affaires relevant de façon évidente de la raison d'État.
Louis-Antoine-Henri de Bourbon-Condé, duc d'Enghien, est conduit dans les fossés du Château de Vincennes ou l’attend un peloton d’exécution, ce 21 mars 1804, à deux heures du matin à la lumière d'une lanterne. Les derniers mots du jeune duc sont : « Il faut donc mourir de la main des Français ! » avant que la slave ne tonnent. Après l'exécution, la dépouille au visage défiguré par les balles est jetée dans une fosse creusée quelques heures plus tôt. Dans les fossés du château, Mohilof, le chien hurle à la mort, en grattant la terre, sans vouloir s'éloigner malgré les pierres que lui jette le jardinier Bontemps. Sous le tumulus, repose le corps de son maître.
Cette exécution sommaire indigne l’Europe et toutes les têtes couronnées se ligueront contre l’empereur – là est « la faute ». Le drame émeut également la France : détails sordides de l’exécution et douleur de la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort qui portera toute sa vie le deuil de cet amour. Mais les royalistes se rallieront majoritairement à Napoléon – et en cela, il a politiquement bien joué. La mort du duc était une nécessité pour la stabilité de la République, et le premier consul en conclut : « Au moins, ils verront ce dont nous sommes capables [...] Je suis la Révolution française, je le répète et je le soutiendrai. »
Portrait de Mgr Louis-Antoine de Bourbon-Condé, Duc d'Enghien - Gravure sur bois, colorée au pochoir (1804-1805)
Pour l'historien Jacques Bainville, « une fois Enghien fusillé, il [Napoléon] avait donné le gage suprême à la Révolution, il s’était mis du côté des régicides […]. Sans le fossé de Vincennes, l'Empire était impossible et les républicains ne l'auraient pas accepté ». Les faits le prouvent, puisque même Cadoudal, chef des conspirateurs dit alors : « Nous avons fait plus que nous voulions ; nous voulions faire un roi, nous faisons un Empereur ! » En effet, le consul Bonaparte profite des événements pour franchir la dernière marche qui le sépare du trône et se fait proclamer, en mai 1804, Empereur sous le nom de Napoléon Ier.
Mais la question de la responsabilité de Napoléon dans toute cette histoire reste malgré tout à nuancé, le rôle de Fouché et Talleyrand est peut-être trop présent. Chateaubriand écrit : « Quand M. de Talleyrand, prêtre et gentilhomme, inspire et prépare le crime en inquiétant Bonaparte avec insistance, il craignait le retour de la légitimité ». Les preuves, il en reste très peu, et pour cause : tous les documents officiels relatifs à l'assassinat du duc d'Enghien ont été raflés par Talleyrand après la débâcle de 1814, alors où Paris vaincu et occupé, il présidait le Gouvernement provisoire. Quoiqu'il en soit, en tant que Premier Consul, puis Empereur, Napoléon Bonaparte a toujours décidé de porter seul le poids de ce crime et à Sainte-Hélène, le 15 avril 1821, trois semaines avant sa mort, il ajoute ce codicille à son testament : « J'ai lait arrêter et exécuter le duc d'Enghien parce que c'était nécessaire, à la sûreté, à l'intérêt, à l'honneur du peuple français, lorsque le comte d'Artois entretenait de son aveu soixante assassins à Paris. Dans une semblable circonstance, j'agirais encore de même ».