Article co-écrit avec Magalie HERAL
Plus qu’un fait divers ou une affaire d’état, l’affaire des poisons, sous le règne de Louis XIV, fut un fait marquant de notre histoire de France. En ce XVIIè siècle finissant, Paris ne bruisse plus que de morts suspectes, car cette « mode », des poisons visant à se débarrasser d’un rival, d’une maitresse, d’un membre d’une famille pour histoire d’héritage, a totalement gangrené non seulement Versailles, mais aussi toute l’Ile de France, par-delà ses frontières.
L’affaire des poisons verra plus de 400 accusés, dont de hauts personnages de la cour de Louis XIV, entre 1679 et 1682, impliquées dans ce scandale, qui provoque une véritable chasse aux sorcières, histoire hors norme, portés devant une chambre spécialement créée par le Roi, sur fond de querelles politiques entre ministres. Cette affaire débute le 25 mars 1676, avec l’arrestation dans un couvent de Liège d’une certaine Marquise de Brinvilliers et se terminera plus de quarante ans après, sur la décision du Roi Louis XIV, le 13 juillet 1709, avec la destruction de carnets d’instruction.
Aux prémices du scandale, une Marquise à l’échafaud…
En ce 16 juillet 1672, dans le quartier de Saint-Germain, un homme est retrouvé mort chez lui, le lieutenant Jean-Baptiste Godin de Saint-Croix, Officier de cavalerie connu pour ses aventures tumultueuses qui le laisse endetté. Aussitôt, les créanciers écrivent au procureur du roi pour réclamer leur dû. Ce décès naturel amène les huissiers à faire main basse dans sa demeure sur tous les meubles et objets de valeurs. C’est alors que durant la saisie, ils font main basse sur une cassette contenant des fioles et des papiers qui portent le nom de Pennautier, et celui de la marquise de Brinvilliers, contenant des fioles et sachets qui sont testés sur des animaux qui révèlent bien la nature d’un poison, d’autant plus dangereux qu’il ne laisse aucune trace.
Très vite, les soupçons se portent sur Marie-Madeleine Anne Dreux d'Aubray, marquise de Brinvilliers, qui fuit à Londres, puis aux Pays-Bas. Elle sera condamnée par contumace en 1673. Mais Nicolas de la Reynie, Lieutenant général de police de Paris est toujours à la recherche de la fuyarde et 3 ans plus tard, il la retrouve dans un couvent des Bénédictines d'Avroy, à Liège et la fait saisir. Ramenée à Paris, ou son procès devant le Parlement de Paris se déroule du 29 avril au 16 juillet 1676, les juges, alors se répugnent à livrer au public les détails sordides de ses crimes perpétrés dans leur société même. Reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés malgré son silence malgré la question, elle est condamnée à une amende honorable, c'est-à-dire que son exécution est rendue publique.
Si je voulais parler, il y a la moitié des gens de la ville et de conditions qui en sont, que je perdrais...
Au soir du 16 juillet 1676, la marquise de Brinvilliers, est solennellement conduite sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame pour y faire amende honorable. Conduite en place de Grève en robe de bure, elle est décapitée, les yeux bandés, à l'épée par égard à son rang, par le bourreau de Paris André Guillaume, qui porte ensuite son corps jusqu'au bûcher.
Mme de Sévigné témoin de son exécution nous rapporte : « Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air : son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tout étonnés. »
Et on croit ainsi, clos l’affaire dites des poisons, mais ceci se révélera être que les prémices d’une vaste histoire remontant dans toutes les couches de la société de l’époque, car comme la dit la suppliciée : « Si je voulais parler, il y a la moitié des gens de la ville et de conditions qui en sont, que je perdrais. »
1679, la résurrection de l’Affaire des Poisons…
Comme nous l’avons déjà dit, depuis le début de cette affaire, ou de ces affaires d’empoissonnements, un homme, Nicolas de la Reynie n’a eu de cesse d’enquêter, car aux vues de l’histoire il en va de la sécurité publique et même celles du roi et du dauphin. En cette période de contre-Réforme, la vie est très empreinte de religiosité, on croit en Dieu et on craint Satan ; et le marchandage de la crédulité des gens va bon train comme le rapporte Voltaire dans son ouvrage Le Siècle de Louis XIV : « L’ancienne habitude de consulter les devins, de faire tirer son horoscope, de chercher des secrets pour se faire aimer, subsistait encore parmi le peuple et même chez les premiers du royaume ». En effet, dans les années 1675 – 1680, on compte, dans la capitale, pas moins de 400 « devineresses » qui font commerce d’onguents, d’herbes, de poudres et de toutes sortes de philtres. Ces femmes sont parfois des « faiseuses d’anges », jolie formule pour désigner les avorteuses. Mais les enquêteurs de La Reynie, échaudés par l’affaire de la Brinvilliers, vont demeurer très vigilants et vont continuer de recueillir des renseignements. Et ainsi un vaste réseau de trafic de poisons, filtres en tout genre, messes noires est mis à jour.
En 1679, l’enquête révèle ces pratiques, dites de « sorcellerie », qui permet aussi de remonter à deux femmes. La première mettant en cause la seconde. Marie Bosse, connue des enquêteurs puisqu’elle se vante d’empoisonner à l’instigation de femmes de l’aristocratie parisienne. Un piège lui est tendu, elle est confondue et emprisonnée. Soumise à la torture, elle fait de nombreuses révélations aux policiers. L’affaire remonte alors, jusqu’à Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, connue sous le nom de « La Voisin » qui tient commerce pignon sur rue dans le faubourg Saint-Denis. Propulsée au cœur de l’affaire des poisons, « La Voisin » est arrêtée le 12 mars 1679, avec plusieurs complices.
Lors de son interrogatoire, « La Voisin » se montre fort loquace et n’hésite pas à donner des noms, de confrères, consœurs,… Les ramifications de l’affaire remonte jusqu’à la Cour de Versailles et le Roi s’en inquiète ardemment.
Lettre de Marie-Marguerite Dreux d’AUBRAY, marquise de BRINVILLIERS (1630-1676)
De la Chambre ardente, en route vers un Scandale d’Etat…
Le 7 avril 1679, Louis XIV, fortement encouragé par Nicolas de la Reynie, établit une cour d’exception spécialement chargée d’instruire et de juger « une affaire de poisons », celle de la Voisin et de ses complices : La Chambre ardente est créée, héritage des instances médiévales, ce tribunal d’exception composé d’une douzaine de magistrats de haut rang, avec à sa tête le président Louis Boucherat (futur Chancelier) et pour rapporteurs Bazin de Bezons et Nicolas de la Reynie. Du 10 avril 1679 au 21 juillet 1682, la Chambre ardente auditionne 442 accusés et ordonne 367 arrestations, dont 218 sont maintenues.
De cette période, le grand Saint Simon laisse trace dans ses Mémoires, « Il semble qu’il y ait dans certains temps des modes de crimes comme d’habits. Du temps de la Voisin et de la Brinvilliers, ce n’était qu’empoisonneurs ». La période est des plus troubles entre déchristianisation et paganisme, et voit émerger de nouveau la sorcellerie, messe noire et autres autour de gens peu fréquentables dans cette société du XVIIéme siècle, devineresses, nécromanciens, marchands de philtres ou prêtes démoniaques. La contre-Réforme est à son apogée et le monde est empreint de religiosité, on croit en Dieu et on craint Satan. Dans son ouvrage Le Siècle de Louis XIV, l’éminent Voltaire parle de cette période en ces mots : « L’ancienne habitude de consulter les devins, de faire tirer son horoscope, de chercher des secrets pour se faire aimer, subsistait encore parmi le peuple et même chez les premiers du royaume ».
« Il semble qu’il y ait dans certains temps des modes de crimes comme d’habits. Du temps de la Voisin et de la Brinvilliers, ce n’était qu’empoisonneurs ».
La Voisin, principale instigatrice par son rôle d’empoisonneuse passe aux aveux et livre bon nombre de ses complices, à commencer par Lesage, son âme damnée. Elle est jugée et reconnue coupable pour l’ensemble de ses crimes par la Chambre ardente et la sentence sera la mort par bûcher en place de Grève le 22 février 1680. Lors de la mise à la question, la condamnée continue de dénoncer ses complices par dizaines, mais pour ce qui est de ses clients, elle se contente de dire : « Un grand nombre de personnes de toutes conditions et de toutes qualités se sont adressées à moi pour demander la mort et trouver le moyen de faire mourir beaucoup de personnes ».
Jean-Baptiste Primi Visconti, gentilhomme italien présent à la Cour de Versailles dès 1673 est le témoin privilégié du scandale en devenir et il en laisse trace dans ses Mémoires, en l’année 1680 : « La Chambre ardente, établie à l’Arsenal, faisait alors grand bruit car, outre les empoissonnements, elle recherchait les superstitions et tous les vices. Toute la France tremblait, d’autant plus que l’on voyait sur de simples soupçons jusqu’à des princesses et des maréchaux, qui en fuite, qui en prison. » Ainsi comme le montre ces quelques lignes, le Scandale est aux grilles de la Cour de Versailles …
Le Roi, par sa justice, fin du Scandale…
Nicolas La Reynie poursuit ses investigations, lors d’un interrogatoire de Lesage, des révélations sulfureuses qui peuvent ébranler la Cour de Versailles apparaissent. Mademoiselle des Oeillets et Mademoiselle Cato, suivantes de la favorite du roi, Madame de Montespan, auraient eu recours à ses services. Louis XIV suit l’affaire et le cas des principaux suspects de près, ainsi la plupart des accusations l’amène à prendre des décisions concernant les hauts personnages incriminés. Si la majorité est innocentée, aux plus compromis, le Roi conseille l’exil volontaire. Ne voulant pas ébruiter l’affaire, et par égard pour certaines personnalités, Louis XIV orchestre une justice à double vitesse, permettant à certaines personnes de franchir la frontière du Nord, la veille de leur arrestation.
L’exécution de la Voisin ne marque pas la fin de l’affaire, au grand dam du Roi, car de nouvelles révélations émanant de la fille de la suppliciée, Marie-Marguerite Voisin, qui n’a plus à protéger sa mère. C’est auprès de Nicolas la Reynie qu’elle porte ses aveux et révélations en impliquant directement Madame de Montespan, favorite de Louis XIV et mère de sept de ses enfants. L’affaire est aux portes du scandale d’Etat, car elle se rapproche du Roi, et le danger est grand. Mme de Montespan, du nom de Françoise Athénais de Rochechouart, maitresse de Louis XIV et mère de plusieurs de ses enfants, aurait bel et bien commis l’imprudence de consulter la Voisin pour des horoscopes, des "philtres d’amour" ou autres sorts d’expression banale en ce temps. En est pour preuve, le rapport de La Reynie à Louvois, au printemps 1680 : « Dès 1667, Madame de Montespan était entre les mains de la Voisin qui avait déjà travaillé pour Mariette à faire quelques conjurations pour elle, pour parvenir aux bonnes grâces du Roi, et quelque chose contre Madame de La Vallière. »
Le Scandale est trop proche pour le Roi qui ne veut pas voir son règne entaché, suspend les séances de la Chambre ardente, le 21 juillet 1682. Le Roi, par lettres de cachet solde les comptes des derniers accusés et au final, ce tribunal d’exception aura prononcé dans cette affaire des poisons à 34 exécutions, 5 condamnations aux galères et 23 bannissements. Le Parlement de Paris, après cette affaire, prend un édit de décriminalisation de la sorcellerie en France, en juillet 1682, mais dans le même temps ce dernier pose les bases de la première loi sur l’empoisonnement mais aussi sur une régulation de commerce des produits toxiques, en les réservant aux apothicaires et professeurs de chimie.
L’affaire disparait sans disparaitre, mais le temps l’a fait passer dans un fait divers couvert par un autre. La marquise de Maintenon éclipsera définitivement la Montespan en 1691 et cette dernière s’éteint dans l’indifférence en 1707. Nicolas de la Reynie, fidèle du Roi, s’éteint lui en 1709, et le 13 juillet de cette même année, le Roi brûle les pièces du dossier de l’affaire sur les « faits particuliers » pour effacer à jamais les traces qui faisait de cette affaire un scandale d’Etat potentiel ; mais hélas pour Louis XIV l’affaire a laissé des traces dans les archives de l’administration judiciaire et en autres celles de la prison de la Bastille, mais aussi dans les échanges épistolaires entre la Reynie et Louvois, alors Ministre de la Guerre mort en 1691, pour le grand bien des historiens et chroniqueurs criminels.