L'Afghanistan est une énigme pour un esprit cartésien. Ce pays désuni et fermé réagit en nation seulement contre l'envahisseur. En effet, depuis octobre 2001, une guerre sans nom perdure, rappelant les précédents algériens ou vietnamiens. La question que l'on peut se poser est : est-ce que l'Afghanistan est un « État failli » ?
Mais avant de rentrer dans le détail de l'exemple l'Afghanistan comme « Etat failli », il semble important de poser une première question sur la définition même du concept d'« État failli ».
Les états faillis sont ceux dont les gouvernements ne contrôlent pas effectivement le territoire. Mais cette simple définition du statut d'État failli est controversable car l'appellation même est débattue. Selon Pascal Boniface[1], les «failed states » ou « collapsed states » constituent un double défi géopolitique. Le terme vient de l'anglais et pourrait se traduire par États « fragiles » ou « effondrés ». Ce sont les états qui ne remplissent pas leurs fonctions traditionnelles régaliennes. Qu'est-ce qu'un État ? Un État, c'est un gouvernement, une population, un territoire, ou plutôt un gouvernement qui contrôle de façon effective un territoire et la population qui y vit. L'État détient, selon la définition de Max Weber, « le monopole de la violence légitime ». Alors, un État failli, effondré, n'exerce plus cette compétence. Le monopole de la violence légitime est remis en cause par l'existence de guérillas, de bandes armées, de seigneurs de la guerre, de groupes paramilitaires, d'organisations criminelles ou terroristes qui imposent leur autorité sur une partie du territoire. Néanmoins, une telle définition a des limites floues et subjectives, car alors, elle correspondrait au sens strict à désigner la situation des deux tiers des États au monde, l'Irlande du Nord, l'Espagne, l'Italie serait sur la liste de ces états, à cause des organisations criminelles, terroristes ou mafieuses.
Selon Rosa Ehrenreich Brooks[2], l'État « fragile » ou « défaillant » est apparu à la fin de la guerre froide, et serait définissable, par opposition aux États dits « stables », qui représenteraient une sorte de norme à l'échelle internationale. Un État fragile serait alors un État qui ne parvient pas ou qui éprouve des difficultés à assurer la stabilité politique, la sécurité économique et la cohésion sociale sur son territoire. Alors ce concept d'« États faillis » ou « Etats fragiles » est une notion qui décrit des pays à l'image de l'ex-Yougoslavie, Haïti, l'Afghanistan, la Somalie ou la République démocratique du Congo, qui sont le théâtre d'événements économiques, politiques et sociaux dramatiques depuis le début des années 90. Pour la communauté scientifique et politique, la délimitation du concept demeure ardue, la définition d'un champ sémantique commun aussi bien en français qu'en anglais reste problématique, une définition simple et concise est difficile : États fragiles, défaillants, déstabilisés, effondrés, etc… Pour Serge Sur[3], on peut retrouver historiquement les premiers contours d'une définition d'État failli dans le préambule du traité de Saint-Pétersbourg, conclu entre les trois puissances (la Prusse, la Russie et l'Autriche), le 25 juillet 1772 : « au nom de la très Sainte Trinité, l'esprit de faction qui maintenait l'anarchie en Pologne y faisant craindre la décomposition totale de l'État, qui pourrait troubler les intérêts des voisins de cette république, altérer la bonne harmonie qui existe entre eux et allumer une guerre générale,... »
[1] BONIFACE, Pascal, la géopolitique, éditions Eyrolles, 2011.
[2] BROOKS, Rosa Ehrenreich, Failed States, or the State as Failure?, The University of Chicago Law Review, 2005, p. 1159.
[3] SUR, Serge, Sur les « Etats défaillants », disponible en ligne http://www.diplomatie.gouv.fr, consultez le 17 mars 2012.
Dans la conception maximaliste, l'État est structurellement défaillant. Cela renvoie à plusieurs courants de pensée français, tels que le courant fédéraliste qui constate que la coexistence des états souverains conduit nécessairement à la prédation et à la guerre ; ou le courant transnationaliste qui repose sur la considération que même dans les périodes de paix, les états sont incapables de répondre aux besoins universels de la société internationale (régulation économique, touche de développement, environnement, droits de l'homme,...) Néanmoins, ces deux courants se rejoignent sur le fait qu'ils considèrent l'État trop grand pour le local et trop petit pour l'international.
Dans la conception réaliste, l'idée principale repose sur les défaillances historiques des Etats, considéré alors structurellement infirme et intellectuellement condamné. Considérant l'État comme une forme historique d'organisation sociale, certes il est un modèle unique d'État sur le plan juridique tous souverains et égaux, dans la réalité, les états ont des formes diverses et sont de plus en plus nombreux. La disparition de l'État est à la fois sa défaillance majeure mais aussi la réponse à cette dernière. Selon Serge Sur[2], alors par cette conception réaliste de distinguer plusieurs types, voire plusieurs degrés de défaillance, la catégorie d'État défaillant ne serait pas alors homogène, et l'auteur cite Jean-Paul Sartre : «'illusion d'un internationalisme abstrait, prétendant réalisé par universalisme une aristocratie de survol ».
Le terme « État failli » dans sa traduction française, désigne généralement un dysfonctionnement des institutions étatiques se traduisant par une incapacité à remplir les tâches normalement dévolues aux états modernes. Cette description de concept fait alors appel à la formule qui suggère que l'État et l'unité fondamentale du système international et que ces critères sont basés sur le modèle occidentalo-centriste, entendons par à une référence aux fonctions régaliennes (ordre, justice, défense du territoire), une représentation (démocratie, respect des droits et des libertés) et d'égalité (éducation, santé). Selon l'OCDE, tous les états seraient plus ou moins à inclure dans la catégorie des états fragiles, « des pays où font défauts ou la volonté politique et/la capacité d'élaborer et de mettre en œuvre des politiques axées sur les pauvres. » Toutefois, il semble important aussi de distinguer les états fragiles qui sont ainsi désignés à cause de la situation financière tellement dégradée qu'ils ne peuvent alors assurer, par exemple, le paiement des intérêts de dette publique colossale ou encore régler les traitements de leurs fonctionnaires.
Néanmoins, même si ce concept apparaît à la fin de la guerre froide, il revient sur le devant de la scène avec les événements du 11 septembre, ces états ont subi des pertes humaines considérables, dans cette double décennie on estime à plus de 8 millions de morts et plus de 4 millions de déplacés à travers le monde, les victimes des conflits au sein de ces états fragiles. En 2009, selon les estimations de l'organisation américaine The Fund for Peace un habitant sur cinq habiterait un état dit défaillant et plus des quatre cinquièmes de la population mondiale résiderait dans des états instables. Alors quels sont ces critères ou indicateurs qui définissent ce concept d'« État failli » ?
La définition de ces critères ou indicateurs est le résultat d'une collaboration entre le think tank américain The Fund for Peace[1] et le magazine Foreign Policy, regroupés dans un document Failed States Index, n'incluant que les pays membres des Nations unies ce qui exclut les pays au statut politique flou, tels que Taïwan, la Palestine, la Chypre du Nord, le Kosovo ou encore le Sahara occidental. Ce classement est basé sur trois grands indicateurs : sociale, économique et politique, ce qui regroupe au total 12 critères de référence (chacun ayant une valeur de 1 à 10 attribués et permettant d'obtenir une totale entre 0 et 120 ; ce qui permet alors de classifier les pays de « stable » (inférieur à 50) à « en situation critique » (supérieur à 100).
- Les indicateurs sociaux regroupent quatre critères : la pression démocratique, les mouvements massifs de réfugiés et déplacés internes, les cycles de violences communautaires et l'émigration chronique et soutenue.
- Les indicateurs économiques regroupent deux critères : les inégalités de développement et le déclin économique subit ou prononcé.
- Les indicateurs politiques regroupent six critères : la criminalisation et délégitimation de l'État, la détérioration graduelle des services publics, les violations généralisées des droits de l'homme, l'appareil de sécurité constituant un État dans l'État, l'émergence de faction sein de l'élite et l'intervention d'autres puissances.
Mais est-ce là, les seuls critères pouvons définir réellement un « État failli » ? Selon Zidane Zeraoui[2], d'autres critères peuvent être une définition, tels que l'absence de gouvernement, l'existence de régions autonomes ou semi-indépendantes, ou encore l'absence d’un minimum de garanties. Néanmoins, fort est de constater qu’un État en déliquescence serait un État qui ne parvienne pas qui éprouve des difficultés à assurer la stabilité politique, la sécurité économique et la cohésion sociale sur son territoire. L'agence américaine National Security Strategy estimait en 2002 que les états fragiles constituaient un risque plus grand à la sécurité internationale que les états ayant des ambitions impérialistes, selon le magazine Foreign Policy. Les critères énoncés plus haut permettent dans le Failed States Index, de classer l'Afghanistan en 2009 au septième rang, dans le même temps, The Brookings Institution de classer la même année l'Afghanistan en numéro deux des états les plus fragiles au monde. En 2011, dans le Failed States Index, l'Afghanistan est placé septième avec un indice de 107,5, en comparaison les États-Unis d'Amérique sont 158e sur la liste avec un indice de 34,8 et la France est 161e avec un indice de 34,0. Alors voyons concrètement, si l'Afghanistan rentre dans le cadre réel du conseil d'« État failli ».
Le cas d'un Afghanistan apparaît comme un terrain propice à l'analyse de l'évolution récente de ce concept. Depuis dizaines d'années, à la suite des attentats du 11 septembre, les États-Unis et l'OTAN occupe le pays et tente de rétablir un régime légitime, si possible favorables intérêts occidentaux. La guérilla mise en œuvre par les talibans à pousser la coalition à inclure dans sa stratégie dimension politique aussi bien que militaires, afin de « gagner les cœurs et les esprits » pour reprendre l'expression de Serge Sur. L'Afghanistan s'est rangé dans les dix premiers sur le pendant les cinq dernières années. On peut alors s'interroger, sur quels sont les critères qui font de cet État, un État failli. Pour cette étude nous baserons essentiellement au rapport de synthèse qui repose, sur le Failed States Index.
Pour Pascal Boniface,[1] le départ des troupes de la force internationale n'est pas en soi un facteur à faire éclore le chaos, puisque selon lui, c'est déjà le cas. Il nous est appelle alors sur six les troupes partaient que se passerait-il ? Les talibans reviendraient probablement pouvoir et le président Ali Karzaï serait certainement exécuté. La plus grande erreur de la force internationale, ou plus exactement du pouvoir américain, a été d'avoir la volonté de créer un État de droit en Afghanistan sur le modèle occidental, par le biais d'une présence militaire étrangère. La question que l'on peut se poser alors est de savoir si une armée étrangère peut que reconstruire une société ? Au premier abord, il est inéluctable de voir que les interventions armées qu'elles soient soviétiques ou sous la conduite de l'OTAN ont plutôt débouché sur une régression de la société afghane. Pour Pascal Boniface, la situation actuelle est loin d'être aussi bonne qu'il y a 10 ans, et c'est à la société afghane de se reconstruire.
Tous les indicateurs sont connexes dans une analyse par conséquent, il sera difficile dans cette mise en exemple de réellement les dissocier. Cependant, à divers degrés ils sont tous les trois présents. Pourquoi après 2001, il y a eu un fort engagement de l'OTAN en Afghanistan ? En premier lieu pour combattre le terrorisme, il ne faut pas que l'Afghanistan redevienne comme à l'époque du régime des talibans, la proie et le sanctuaire du terrorisme international. Il faut préserver ce pays du chaos et du totalitarisme. En luttant contre ces menaces, la force internationale œuvre également à la sécurité du reste du monde. C'est un enjeu aussi, pour contribuer à la reconstruction et au développement de l'Afghanistan, pays meurtri par plusieurs décennies de guerre, qui doit être aujourd'hui reconstruit : infrastructures, gouvernance, économie, système éducatif et de santé... La force internationale présente prend une part active à cet effort, pour rendre plus vite aux avenants la maîtrise de leur destin.
Les défis sociaux, économiques et politiques car affronter le pays sont nombreux. Le premier de tous est politique, c'est la sécurité, afin de contrer les attaques sur les forces de sécurité internationales et l’expansion de la violence résultant des groupes insurgés talibans. Ces insurgés et groupes anti-Américains illégalement armés continuent à saper les efforts pour forger un gouvernement fonctionnel capable de permettre l'accès aux produits de première nécessité et de mettre en œuvre des services publics. D'ailleurs, la corruption politique dominante et la puissance des barons de la drogue affaiblissent la légitimité de l’Etat. L'incapacité du gouvernement à contrôler les régions où opèrent les parrains de la drogue lui rend plus difficile le combat contre le robuste trafic de drogue dans le pays et un marché noir de plus en plus important. Jusqu'à ce que l'Afghanistan ait la capacité de surmonter ces nombreux défis de sécurité, une amélioration de la stabilité est peu probable. Pour Pierre Krähenbühl, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge, les Afghans vivent aujourd'hui dans un environnement caractérisé par le nombre toujours plus grand de personnes portant ouvertement des armes et la prolifération de groupes armés. Outre les forces en uniforme, une multitude de groupes d’opposition et progouvernementaux armés participent activement aux hostilités. Les Afghans qui vivent dans les villages où sévit un conflit doivent prendre une décision impossible : choisir un camp ou quitter la maison, telle est la réalité de l'Afghanistan d’aujourd'hui.
Une des questions que l'on peut se poser sur l'Afghanistan est: la multiplicité des identités ethniques étaie une cause de la défaillance de l'État ? Selon Bernt Glatzer[2], l'Afghanistan donne une image nuancée de la façon dont la population perçoit son appartenance à une est une parmi d'autres et le rôle de l'État. En effet l'image que les gens ont de leurs propres groupes ethniques ou religieux et de se des autres peut jouer un rôle important pour l'intégration ou la fragmentation d'une société. Les différences ethniques sont donc une réalité, mais leur interprétation, leur importance pour la formation de l'identité d'un groupe par rapport aux autres, ou leur signification politique dépendre de l'environnement social et sont donc malléables.
Au-delà des problèmes sécuritaires de rencontre l'Afghanistan, la corruption est devenue endémique dans ce pays, six afghans sur 10 considèrent la corruption comme un problème plus grave que la violence, 2,5 milliards de dollars de pots-de-vin auraient été versés pour obtenir l'accès à des services publics essentiels[3]. Les élections de 2009, en Afghanistan, où Hamid Karzaï a été déclaré vainqueur au milieu d'accusation de bourrage généralisé des urnes, ont amené l'Europe et États-Unis à s'interroger sur les pertes militaires subies pour soutenir le gouvernement reconnu comme corrompu. Selon le rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les policiers, les juges, les procureurs et les députés sont parmi les plus enclins à solliciter les pots-de-vin. Ceux qui sont censés protégés les gens de cette sorte d'anarchie sont eux-mêmes considérés comme les plus coupables de la violation de la loi. Le volet économique de la corruption est équivalent au commerce de l'opium en Afghanistan, estimait au tour de 2,8 milliards de dollars en 2009.
[1] BONIFACE, Pascal, Entretien réalisé par Damien Roustel, « il faut bâtir le plus tôt possible » l'humanité, 22 Août 2011.
[2] Glatzer, Bernt, Modern Afghanistan: Death of a Nation?, éditions Routledge, Londres, 2002.
[3] Rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. (ONUDC) Corruption widespread in Afghanistan.
L'Afghanistan, État pachtoun dans l'esprit de son fondateur Ahmad Shah Durrani, en 1747, avait bien vocation à être un État-nation composite. L'État est aujourd'hui un État faillit tant les défis semble insurmontables. Une remise l'un des approches de la communauté internationale s'impose dans ce pays. La stratégie d'aide doit assurer un équilibre entre les opérations d'urgence susceptible de délivrer rapidement des résultats visibles avec des actions de moyen long terme dont la finalité doit être de reconstruire les institutions viables de type modernes. L'appui actuel apporté par la communauté internationale à la reconstruction de l'appareil d'État pose le problème de la légitimité du régime nazi soutenu et délit de la démocratie dans ce type de contexte. Le défi de la reconstruction de ces institutions est considérable pour des raisons techniques mais surtout politiques. Selon Pierre Lellouche[1], rapporteur général à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, la mission de l'OTAN en Afghanistan se trouva le tournant critique. La crédibilité de l'OTAN est en jeu. Pour les Afghans, c'est aussi la crédibilité de l'Occident au sens large, car ils ne font pas de distinction entre soldats canadiens, français, allemands ou américains. À leurs yeux, la force internationale représente une seule et même chose, un ensemble d'options auxquelles souscrit la vaste majorité d'entre eux : liberté, démocratie stabilité. Ni le communisme ni islamisme intégriste n'ont répondu à leurs attentes et l'OTAN a aujourd'hui une chance de les aider à bâtir un État opérationnel et pacifique qui soit libéré des seigneurs de la guerre, des milices privées et du trafic de la drogue. Cependant, il est impératif de ne pas tenter d'imposer un modèle de démocratie à un État, mais d'adapter ce modèle à la configuration de ce pays, de son peuple et ses traditions.
Pour conclure, je citerai l'observation du lieutenant-colonel Bruno Helluy[2], de l'état-major de la 11e Brigade Parachutiste sur le front afghan : « Imposer sa volonté, enfin, la guerre est avant tout un combat des volontés, notre mission est donc de mettre en œuvre et d'amplifier la volonté du chef pour affaiblir celle de l'adversaire. Il faut que les insurgés soient conscients de notre détermination, de notre volonté de mener notre mission, en appui du gouvernement afghan. L'histoire Galles montre que la population se range du côté du plus fort, la convaincre de la force de la coalition et des ASNF et donc un gage de réussite et de sécurité. » Quoi qu'il en soit, le chemin sera long et douloureux pour ce qui est du conflit en Afghanistan, comme le notait même Machiavel : « on commence hier quand on veut, on la finit quand on ne peut. »