De son vivant, l’Empereur des Français, pour Thierry Lentz, Historien spécialiste de l’Empire : « est l’inventeur des méthodes de communication modernes. » En effet, Napoléon Bonaparte a construit tout au long de sa vie politique, une communication pour la postérité ; de héros romantique pour les uns à despote sanguinaire pour les autres, il n’en reste que l’Empereur est devenu une icône politique, historique et culturelle.
De son vivant, et même 200 ans après sa disparition, Napoléon est devenu une icône politique, historique et culturel, homme de pouvoir à l'héritage en deux teintes, il a su mettre sa vie, de son ascension à sa chute et sa mort, en image pour la postérité, pour que la légende de l'Aigle puisse perdurer son ombre sur la France et le Monde.
Napoléon fascine depuis plus de deux siècles et c'était sa volonté, lorsqu'il a compris que la destinée l'avait placé sur la route des Grands Hommes qui font l'Histoire. Et dès la campagne d'Italie en 1797, Bonaparte va façonner son image de guerrier, le tableau dit de Bonaparte au pont d'Arcole de Joseph-Antoine Gros, en est l'illustration même et le premier acte du communiquant ou la vérité devient la petite histoire, pour laisser place à l'Histoire ou la postérité réécrite ; en effet, selon le récit national, c'est Napoléon, jeune général, qui va lui-même mener la troupe sur le Pont, même si dans les faits cela sera le général Augereau, mais il sera écarté du récit.
Le récit de la campagne d'Italie, débute en 1796, lorsque Napoléon est nommé à la tête de l'Armée d'Italie pour attaquer l'Autriche sur le sol italien, ce qui se veut être une campagne de 2éme plan, puisque le gros des forces françaises sont alors plus au Nord, sur les rives du Rhin pour mener le « Vrai combat ». Mais contre toute attente, Napoléon, fin stratège, va alors faire une percée en Italie, en repoussant les armées autrichiennes et rejoindre Milan.
Pour Thierry LENTZ, « l'Armée d'Italie n'est pas destinée à gagner de grandes campagnes, elle est là pour fixer une partie de l'Armée autrichienne, pendant que l'Armée française passe par le Nord et plus précisément par l'Allemagne ». Et le général Bonaparte va inverser la géopolitique militaire du moment, par son offensive en Italie, et devient le Général Français et son armée devient l'Armée française qui menace réellement Vienne, alors que l'on s'attendait à ce qu'elle le soit par le Nord. Très vite, de Milan, Bonaparte rejoint Vérone et doit passer un point stratégique : le village d'Arcole. Or, sur le terrain, les forces en présence sont plus favorables aux Autrichiens. Le 15 novembre 1796, Napoléon souhaite contourner l'obstacle en passant par les marais d'Arcole et le pont qui mène jusqu'au village, voulant jouer un coup de poker, en essayant d'entraîner l'ensemble de sa troupe à l'assaut des positions adversaires. Par ce geste téméraire, Bonaparte prend le drapeau républicain est avance sur le pont, à ses côtes, son aide de camp, le colonel Jean-Baptiste MUIRON, fera barrage de son corps contre les balles autrichiennes pour le protéger. Bonaparte tombe du pont, dans la boue des marécages et c'est un échec militaire.
Deux jours, plus tard, avec l'aide des renforts de MASSENA, l'Armée de Bonaparte franchira le pont d'Arcole jusqu'aux portes de Vienne. L'Autriche cède et signe le traité de Paix de Campoformio qui met fin ainsi à une guerre de 5 ans. L'image qui va rester dans la mémoire collective, c'est le tableau de Joseph-Antoine Gros, en récrivant l'histoire, comme le rappelle Thierry LENTZ, « ce que devient Arcole, après et quelque chose de très différent de ce qu'a été la bataille réelle, notamment cette image qui montre Bonaparte conduisant l'Armée de la République sur le pont d'Arcole, drapeau à la Main, le visage tourné vers les troupes en arrière, comme on représentait à l'époque la muse de l'Histoire Clio ».
Par cette illustration, outil de communication, la propagande véhicule le message, « c'est le symbole de l'Armée, par sa posture, car l'Armée, C'est son chef et son chef est devant ». À partir de cet instant, Bonaparte va prendre une place importante dans l'armée française, à tel point que le Directoire va vouloir l'écouter en l'envoyant sur les Terres d'Egypte. En 1801, Bonaparte devenu Premier Consul, après le coup d'Etat du 18 Brumaire, a dans l'idée d'asseoir sa stature de Chef de Guerre, et de Chef d'Etat, va commander une toile représentative de ce nouveau pouvoir en mettant en scène une nouvelle image de la Campagne d'Italie, peinte par celui qui deviendra son peintre officiel Jacques-Louis DAVID, qui le propulsera dans l'histoire.
Ce tableau, connut de tous, représente le Général Bonaparte franchissant le Grand Saint Bernard, et se veut être une idéalisation ; en effet, le visage de Napoléon reflète plus l'expression d'un héros à la grecque qu'une représentation fidèle. De plus, les références à Hannibal, à Karlos Magnus (Charlemagne), adjoint au Consul Bonaparte, se veulent être une volonté de filiation aux héros de guerre, grand chef d'Etat, le rapprochant ainsi à la galerie des hommes illustres de l'Histoire. Ce tableau est une œuvre de propagande artistique au service de la politique, ou la réalité est une nouvelle fois éloignée de la représentation, Paul DELAROCHE montre le véritable épisode du passage des Alpes par Bonaparte, sur les chemins escarpés des monts à dos de mulets.
Par ce tableau de David, Bonaparte veut ancrer dans l'Histoire, sa Gloire, mais lors de sa présentation publique en septembre 1801, au Louvre, l'œuvre divise autant qu'elle fascine, mais il en reste pas moins, une image glorifiée de Napoléon qui va concourir à sa montée politique, ainsi qu'à son image de conquérant. Napoléon a fait de l'Art et des Artistes, un vecteur de propagande de son règne, et un outil de communication, pour le mettre dans une continuité des souverains français. Jacques-Louis DAVID va être un des promoteurs de l'image de Napoléon durant son règne, utilisé par l'Empereur, en fin communiquant et pionnier de la communication à grande échelle. Napoléon voulait frapper les esprits par l'image, mais aussi par sa plume et son éloquence. Tout au long de son règne, Napoléon a su utiliser et user des techniques modernes de communication, pour la gloire de la France et de l'Empire, le symbole de cette utilisation reste le tableau Le sacre de l'Empereur Napoléon Ier et le couronnement de l'Impératrice Joséphine le 2 décembre 1804 du peintre officiel DAVID qui est une représentation de l’Empire naissant, avec toute sa gloire et ses failles qui conduiront à sa chute sans le savoir.
Napoléon Bonaparte comprend très tôt que l'image est une chose, mais les récits et écrits sont aussi des armes au service de sa propagande et les outils de son ascension. Dès la campagne d'Italie, le jeune Général va rédiger le Courrier de l'armée d'Italie pour informer le grand public, mais aussi le soldat qui a combattu, des exploits de son armée, en rédigeant lui-même avec le plus grand soin les récits. Comme le stipule, le spécialiste de l'époque Napoléonienne Jean TULARD « la légende napoléonienne n'est pas née à Sainte-Hélène, mais dans les plaines d'Italie », Napoléon y construit sa propre légende, exposant les faits pour la postérité quitte à réécrire les événements les moins glorieux à son avantage, minimisant les échecs ou les pertes, et exaltant ses victoires. Le Général Bonaparte envoi les communiqués destinés au Directoire, aux journaux parisiens pour publication, car il n'ignore pas l'impact sur l'opinion, ainsi que les avantages de cette propagande qu'il peut en tirer. La Campagne d'Egypte qui sera un réel échec sur le plan militaire, les récits ne seront alors fixés que sur l'expédition scientifique, qui elle est une volonté de Bonaparte et sera un véritable succès qui sera même un symbole de l'Empire en devenir.
Un an après l'avènement de l'Empire, Napoléon, au lendemain de la Bataille d'Austerlitz, rédige une proclamation qui reste en mémoire encore de nos jours avec un champ lexical et des expressions qui marqueront les esprits : « Soldats ! Je suis content de vous. [...] Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. » En fin stratège, l'Empereur reprendra méthodiquement cette méthodologie de communication auprès de son Armée et de son peuple, car une armée forte et celle qui a le soutien du peuple qu'elle protège et les bulletins et proclamations seront ses outils au service de la Gloire du règne conquérant.
Proclamation après Austerlitz, 12 frimaire an XIV (3 décembre 1805)
Enfin, Napoléon, empereur déchu, va continuer de créer, écrire et glorifier sa propre vie dans son dernier chapitre de son existence d'homme, son exil à Sainte-Hélène, en rédigeant ses mémoires qui seront sa dernière arme au service de sa gloire et de sa légende pour l'éternel. Ce dernier récit sera peaufiné dans les moindres détails pour la réécriture de sa propre histoire et pour l'émergence du mythe qui nous est parvenu jusqu'à nous. Depuis son rocher au milieu du de l'Atlantique Sud, l'Empereur vaincu, tel Prométhée, devient peu à peu le dernier martyr de la Révolution qu'il a tenté de préserver que les souverains de l'Europe tentent en vain d'écraser Napoléon le résume mieux que tous les analystes : « Rien ne saurait désormais détruire ou effacer les Grands principes de notre Révolution, [..] et cette ère mémorable se rattachera, quoi qu'on ait voulu dire, à ma personne ; parce qu'après tout, j'ai fait briller le flambeau, consacré les principes, et qu'aujourd'hui la persécution achève de m'en rendre le messie ».
Ainsi, ceux qui ont voulu le faire disparaître, ont contribué à faire émerger la Légende et lui ont permis de traverser les siècles, là est la dernière victoire de l'Aigle. Napoléon a su mettre à son service, son image et les mots pour une légende immortelle, « Quel roman que ma vie ! » se serait-il exclamé au soir de son existence ; même s’il ne fait pas l'inventeur de la communication et propagande politique, l'Empereur Napoléon a su en user au point et en faire un véritable système au service de l'homme politique pour marquer habilement et massivement les mémoires collectives, communiquant pour être proche de ses soldats et de son peuple. Pour Thierry LENTZ, « Aucun homme d’Etat n’a laissé une empreinte aussi durable. », Napoléon qui est devenu au-delà même de ses attentes un outil de marketing politique, a voulu construire sa légende, pour franchir la fatalité de la mort, pour vivre après la mort, pour la postérité et qui 200 ans après sa mort, fait toujours couler autant d’encre et fait se déchirer autant les pour et les contre.