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Sébastien-Philippe LAURENS Journaliste et Historien

Sébastien-Philippe LAURENS Journaliste et Historien

Comme le disait Winston Churchill : “ La vérité est incontestable, la malveillance peut l’attaquer, l’ignorance peut s’en moquer, mais à la fin, elle demeure." ---------------------------- Et je rajouterai que la curiosité permet de la faire émerger. ------ Journaliste, Historien et Géo-politologue, passionné par l’Histoire, la Culture, et tant de choses… ------------------------------ Toute une passion, ce site est là pour le plaisir du partage... au plus grand nombre humblement par un regard sur le monde sans juger ou orienter... ---------------------------------------------------------- Alors venez à la découverte, soyez curieux... Et bonne lecture...


La Prostitution au Moyen-Age, entre intégration urbaine et influences sociétales

Publié par Sébastien-Philippe LAURENS sur 22 Juillet 2022, 16:40pm

Catégories : #Histoire, #@BlogLSP, #Europe, #France, #Terre Sainte, #Templiers, #Toulouse, #Moyen-âge, #Prostitution médièvale

La Prostitution au Moyen-Age, entre intégration urbaine et influences sociétales

La Prostitution qui a si souvent été appelée, « le plus vieux métier du monde » est un mal nécessaire pour la société médiévale, entre un phénomène de sécurité publique et limites de la tolérance. L’influence de la prostitution au moyen âge n’est pas qu’urbain, en effet dans le monde rural une prostitution existe, cette dernière est cependant beaucoup moins complexe, plus cachée et secrète car sans doute plus mal tolérée.

En matière de prostitution, le monde médiéval reste globalement ambigu, hésitant, avec des tendances contradictoires soutenues par la morale religieuse d’un côté, le soin de l’ordre public de l’autre. Bien que cette activité soit marginale et déshonnête, la prostitution a une responsabilité sociale : défendre l’honneur des femmes « d’estat » (femme de vertu) et lutter contre l’adultère.

La prostitution, entre genèse, image Epinal et réalité sociale …

La prostitution, qui est définie dans l’Encyclopédie de Diderot, comme un terme emprunté au latin prostitutio qui signifie profanation, débauche ; existait déjà durant la période antique, Hérodote l’évoque dans ses écrits qui nous sont parvenus, avec une double classification : l’obligation pour les femmes de se rendre au temple au moins une fois dans leur vie et s’offrir au pauvre ou à l’errant (cette pratique basée sur une notion de sacrifice spirituel est appelé prostitution sacrée) ; et l’aspect lucratif, en effet, cette forme de prostitution qui nous est hélas parvenue arrivera un peu plus tard dans la Société romaine, avec l’existence même de lieu connu sous le nom de lupanar, dérive du nom louve, classé comme animal obscène, à la recherche constante du mâle.

Si la chose est ancienne, le mot ne l’est pas en français puisque ce n’est pas avant le XVIème siècle que « celui ou celle qui s’expose en avant » désigne la personne qui fait commerce de son corps. Ce terme apparait vers 1250-1300, dans une version anglo-normande de l’Apocalypse, définissant alors pour une femme, le fait de se livrer à la débauche. L’univers de la prostitution n’est pas essentiellement, celui des vagabondes ou des étrangères, la plupart du temps, les filles sont nées dans la ville où elles « exercent ». C’est évidemment la misère qui alimente le « marché de la chair fraîche », pour reprendre l’expression de Jacques Rossiaud, « la misère fut de tout temps la grande pourvoyeuse » de la prostitution. Il suffit d’un cycle noir pour que des familles soient endettées et que des femmes se livrent à une prostitution occasionnelle. Elles ne choisissent pas ce métier par goût, mais par esprit de survie, c’est un moyen de subsistance à court. La prostitution a aussi comme second facteur, le plus souvent lié au premier facteur la misère, les brutalités ou les contraintes familiales, en effet, il n’est pas rare de voir des mères, des pères, des tuteurs prostituer un enfant ou un mari sa femme. L’entrée en domesticité ou en service constitue un facteur directionnel vers la prostitution forcée, une forme d’esclavagisme ou l’employeur peut se servir dans sa domesticité, lorsque Madame se refuse. L’esclavage des femmes, en Italie, Espagne et Moyen Orient est encore une réalité de la prostitution, les femmes servant alors de concubines pour le maître, pour les fils, et font l’objet de trafic on parle alors de Traite des Blanches, on en trouve trace, selon Jacques Rossiaud, à Arles et à Avignon, dans les milieux marchands italiens ou catalans, mais cela reste marginal.

 

Rejetées par leur famille après un viol ou une grossesse clandestine, exemple à Avignon, au XIVème siècle, 27% des prostituées ont été victimes de viols publics ; ces jeunes femmes, ainsi déshonorées, ne peuvent plus espérer vivre une existence de femme honnête, se fondre dans la matrice la plus générale, mariée et mère de famille, dans la théorie, mais en changeant de ville, il arrive qu’elles puissent faire « une fin par le mariage ». Néanmoins, une prostituée sur cinq sorts de milieux aisés, la vulnérabilité provient ici souvent de la disparition parentale, familiale ou encore pour une cause vénale, certaines n’ont tout simplement pas trouvé d’autres moyens pour vivre que de vendre leur corps, faute de travail, cherchant ici alors une protection, nous sommes en ce cas en présence d’une prostitution miséreuse. Seules 15% d’entre elles semblent avoir choisi ce métier, sans contraintes de pauvreté, mais sur leur propre initiative. Les exclus du système fournissent, ainsi on le voit, les plus gros rangs de l’armée prostitutionnelle urbaine. Pour la plupart des filles, la prostitution a commencé vers l’âge de 17 ans. Il apparaît tout de même qu’un tiers d’entre elles se soient vendues avant leurs 15 ans. C’est notamment le cas des filles prostituées par leur famille. Pour ce qui est des pratiques sexuelles, elles sont communément orales, anales, manuelles et inter fémorales. Pour des raisons contraceptives, les prostituées fuient donc le rapport vaginal. Une fois passé le cap de la trentaine, les « filles de joie » ne peuvent guère continuer plus longtemps leur activité, comme nous le verrons plus bas, certaines deviennent abbesses, ou tenancières d’étuves – bains publics – et restent ainsi dans le métier pour assurer leur vieillesse. D’autres, moins nombreuses choisissent la retraite en cloître, appelé maison de repenties, pour d’autres encore, le mariage mais cela reste rare ou l’errements dans la misère.

« La prostitution est à la ville ce que sont les latrines au château. »

Paroles de Saint Augustin

Prostitution de ville, Prostitution de champ …

La ville, n’a pas le monopole de la prostitution au moyen-âge, en effet, il n’est pas le seul lieu où elle s’exprime, car dans le monde rural une prostitution existe, comme nous l’avons indiqué plus haut ; mais c’est en ce milieu que la prostitution s’épanouit et revêt des formes complexes d’où la migration de certaines prostituées de la campagne à la ville. C’est aussi parce que celle-ci est forte de sa démographie même si les populations citadines sont, durant cette période, amplement inférieure aux rurales, en effet les chiffres parlent d’eux même, à Dijon, vers 1470, on compte plus de 100 prostituées pour une population de moins de 10 000 habitants, à Florence, vers 1430, on compte 70 prostituées publiques. L’attrait urbain est aussi évidemment financier, en ville l’acte peut valoir jusqu’à cinq fois plus qu’à la campagne c'est-à-dire l’équivalent d’une demi-journée de travail agricole féminin. Une nuit entière pouvant rapporter aux filles jusqu’à trois jours en équivalence avec le labeur campagnard. A titre d’exemple, à Dijon, la passe (une demi-heure) coûte 1 blanc (= 5 deniers), tandis qu’une femme est payée 2 blancs la journée pour le travail de la vigne. 

La Prostitution au Moyen-Age, entre intégration urbaine et influences sociétales

Pour l’historien Jacques Rossiaud, auteur de La Prostitution médiévale, il n’y a pas une mais des prostitutions, qui repère ainsi quatre étages dans la prostitution urbaine au XIVème et XVème siècle ; cette hiérarchisation semble encore plus apparente grâce à l’âge des prostituées : les filles secrètes dites de rue avaient ainsi en moyenne entre seize et dix-huit ans, les chambrières d’étuves une vingtaine d’années et les locataires des « maisons de tolérance » où le client est moins « regardant » avoisinaient les trente ans :

  • Premier niveau : le prostibulum publicum que l’on peut traduire par maison de tolérance ou bordel municipal construit, entretenu et régi par les autorités publiques, princières, municipales ou encore ecclésiastiques. Ces lupanars portent des noms variés : « bon hôtel », « maison des fillettes » ou encore « bonne maison », le nom même de prostibulum est surtout utilisé dans le Sud de la France, leurs tailles dépendent de l’importance de la population de la cité, confiés à la direction d’une abbesse ou d’un tenancier, ce ne sont pas des lieux à proprement parler des maisons closes. Les filles racolent ainsi dans les lieux publics et les rues avoisinantes, et amènent leurs clients et sont chargées de les faire consommer avant de gagner les chambres. A Dijon, le prostibulum s’avérait être bien construit, puisque dans chaque chambre, il y avait une belle cheminée en pierre.
  • Deuxième niveau : les bains publics ou étuves, tenus généralement par des notables, ces bains sont pourvus de nombreuses chambres chauffées. A Dijon, on en dénombre 7 ou 8 établissements de bains ; les prostituées qui y travaillent paraissent être mieux considérées. Les bains de la paroisse Saint-Jean étaient tenus par une femme d’une grande vitalité et de fort caractère, qui jouissait d’importantes protections et qui avait su attirer chez elle certaines femmes de la bourgeoisie dijonnaise : celles-ci ne venaient pas pour de l’argent, mais pour le plaisir.
  • Troisième niveau : lui est artisanal : fait de petits bordelages privés, tenus par des maquerelles qui disposent de peu de filles (souvent deux ou trois). Souvent ces premières accueillent dans leur hôtel ou taverne et les parts prises sur les filles complètent leur salaire. Mais ce niveau est étroitement le dernier étage de l’édifice prostitutionnel.
  • Quatrième étage : avec les « femmes légères » qui travaillaient pour leurs propres comptes et venaient souvent se vendre dans des hôtels après avoir racolées dans les tavernes et sur les marchés. Ce dernier niveau de la hiérarchie, que définit Jacques Rossiaud est le plus dangereux, car il crée la plupart du temps nombre d’envieuses, ce qui entraine alors à ce que ces femmes tentent de devenir les concubines de notables qui leur assurent une protection, mais ce dernier rang comporte aussi une prostitution bien moins miséreuse, avec une sorte d’aristocratie du milieu, celui-ci est composé de femmes qui reçoivent chez elles des hommes de bonne condition, pour ces dernières, les rémunérations sont les plus élevées du « métier ».

La prostitution organisée appartient ainsi par excellence au champ urbain : inscrite et délimitée, celle-ci est circonscrite dans l’espace de la ville par des règlements de toute nature, ou pour reprendre Jacques Rossiaud : « Contrôlée par les autorités urbaines, elle fait partie intégrante de l’écosystème urbain ».

Prostitution, entre répression, tolérance et intégration …

On peut dire que la Prostitution a eu plusieurs vies au Moyen-âge, ou différentes perceptions sociétales, naviguant d’utilité publique, en répression morale, à la tolérance sanitaire et juridique, avec aussi une moralisation ecclésiastique forte à cette période de la chose. Faire toute l’historique de la prostitution au Moyen-âge mériterai un livre complet, alors ici, arrêtons sure quelques faits marquants.

La Prostitution au Moyen-Age, entre intégration urbaine et influences sociétales

Alaric II, roi des Wisigoths, inspiré par l’idée directrice de Rome et du code Justinien, établit le Bréviaire d'Alaric, dit code Alaric (recueil de droit romano-germain promulgué en 506 à Aire-sur-l'Adour) qui juridicise les actes de prostituions ainsi, les prostituées sont poursuivies et les intermédiaires condamnés : « Réprimer les excès de la prostitution, mais la tolérer quand même, passible de 300 coups de fouet et de la tonte de sa chevelure ».

Au IXe siècle, durant la première croisade (1096-1099), on sait que les filles de joie suivent massivement les troupes levées pour la Terre Sainte. Par exemple lors de cette croisade des barons, les trois armées parties de France constituées par regroupements régionaux traînent derrière eux tant de prostituées de bourgade en bourgade et de ville en ville que les autorités militaires tentent (en vain) de les fixer sur place afin de ne pas ralentir la marche vers Jérusalem ce qui gêne considérablement les prostituées déjà « enracinées ».

Sous le règne de Louis IX, dit Saint Louis (1226-1270), c’est un tournant dans l’histoire de la prostitution avec une politique qui fut il est vrai très changeante face au phénomène, passant de la prohibition la plus stricte à la tolérance, pour exemple en décembre 1254, c’est une dure répression avec l’expulsion des prostituées de son royaume, ce qui mène alors au développement d’une prostitution souterraine et plus que jamais clandestine. Devant la nature irréalisable de cette décision royale, l’édit est révoqué en 1256, par une nouvelle ordonnance datée de cette même année s’avère être beaucoup plus tolérante ; ainsi, la prostitution rétablie doit ainsi être cantonnée loin des églises, des cimetières et des rues honnêtes. Autre exemple sous le règne de Saint Louis, pendant la huitième croisade (1265-1272), les livres de comptes royaux font état sous la rubrique "camp followers" que l'État devait payer un salaire à environ 13 000 prostituées afin d'encourager les troupes à continuer la guerre sainte. Cette dernière illustration montre toute l’ambigüité de la politique de Saint-Louis, ouvrant aussi les portes de la repentance pour les filles communes en contribuant auprès de Guillaume III, évêque de Paris, à la création en 1226 le Couvent des filles-Dieu, ayant pour but de « retirer des pécheresses qui, pendant toute leur vie, avaient abusé de leur corps et à la fin estoient en mendicité ».

Philippe III, fils de Louis IX, poursuit sans aller plus loin, l’attitude de son père à savoir l’imposition de règles aux prostituées, destinées à les maintenir dans certains quartiers spécifiques de la ville, hors des murs, si possible. La prostitution va être institutionnalisée entre 1350 et 1450. De plus en plus, l’attitude des autorités apparaît très ambiguë, en effet, puisqu’il n’y a plus de législation émanent de la couronne après Philippe III, il apparaît dès lors évident que c’est aux villes de légiférer. La répression laisse donc peu à peu place à une certaine tolérance, tout du moins à un confinement des filles communes. Cette volonté d’enfermement et de contrôle est visible dans de nombreuses villes. C’est par exemple le cas à Avignon où, en 1360 surgit la première tentative sanitaire dans le domaine de la prostitution. Jeanne Ière, reine des Deux-Siciles fonde ainsi un bordel ou les filles sont largement contrôlées par des médecins et une abbesse. Avignon est ici intéressante, car très révélatrice des oscillations réglementaires constantes que connaissent toutes les villes de France. En effet, on sait que seulement deux années avant la création de ce bordel, Innocent VI, résidant dans la cité, avait interdit ce trafic. Vingt années auparavant, toujours dans la cité des Papes, il était pourtant demandé un tribut à toutes les femmes de mauvaise vie, preuve d’intégration.

Il est d’ailleurs courant à partir du XIVème siècle que les villes soumettent à la taille les tenancières ainsi que leurs filles. Mais le regard porté sur la prostitution étant différent selon les villes et ou les régions, aucune généralisation n’est dès lors possible concernant cet impôt. On sait ainsi que certains consuls peuvent exempter de taille les filles de leurs villes, voire même pousser la tolérance encore plus loin en invitant celles-ci à participer aux fêtes urbaines, leur attribuant parfois même certaines tâches.

Le 19 novembre 1445, le roi de France Charles VII fit rédiger à Toulouse une lettre destinée au juge du Lauragais ou à son lieutenant, en voici la teneur : « Les consuls de la ville de Castelnaudary nous ont exposé, indique-t-il, que ladite ville est assez grande et peuplée, qu'y affluent ou demeurent des jeunes hommes et des serviteurs non mariés et qu'elle est dépourvue de femmes ou fillettes publiques ; tout au moins les femmes publiques qui y sont n'ont point d'hôtel ou de maison spéciale où l'on puisse les retrouver. Et, pour ces raisons, lesdits exposants ont convenu entre eux de faire construire et édifier à leurs frais un hôtel en dehors de la ville, à l'écart des gens honnêtes, qui sera appelé le bordel, où demeureront et pourront être rencontrées ces fillettes ». Ainsi les consuls de Castelnaudary prenaient-ils en comptent et publiquement les besoins sexuels des célibataires. Il s'agissait avant tout de créer, à côté des bordelages, de petits bordels privés, destinés aux fils des habitants, et à quelque distance des quartiers résidentiels, un bordel capable de satisfaire aux désirs des compagnons étrangers. Ce qui évite d'ailleurs des querelles entre les deux catégories de « consommateurs ».

Les questions pécuniaires jouaient un grand rôle et l'abbé ou l'abbesse disposaient de bien des moyens licites pour extorquer de l'argent aux filles. En témoigne la plainte en justice, en 1462, des filles communes de Toulouse qui souhaitent être libérées de la tutelle de leur abbé : « Les fillettes sont femmes de vie dissolue et de plus grande dépense en leur boire et manger que les autres gens, car l'abbé leur donne chaque jour quatre fois à manger, c'est à savoir du matin à déjeuner fritures ou pâtés, à dîner bouilli et rôti et à respriller [goûter] aussi quelque friandise, à souper d'autres bonnes viandes, et toujours bons vins blancs, rouges et claret [vin mélangé de miel et d'épices aromatiques] et tellement que leur dépense est beaucoup plus grande que celle des autres gens ».

A Dijon, le bordel public fonctionnait en 1385. Un second voit le jour au début du XVe siècle qui, au moins depuis les travaux exécutés en 1447, consistait en une importante construction formée de trois corps de bâtiments. Ceux-ci entouraient d’un jardin et comportaient vingt grandes chambres. Au milieu du XVe siècle, à Dijon, le maître est un fonctionnaire municipal, sergent de la ville et grand ami des coquillards, les voyous de la région. On constate ainsi que le tenancier pouvait s'enrichir par l'intermédiaire de la nourriture. Jeanne Robelote qui durant dix-huit ans dirigea le bordel public de Dijon, et qui ne suscite aucune plainte de la part de ses pensionnaires, demande un dédommagement, en 1476, à la mairie, parce que les filles s’étaient retirées rue des Grands-Champs où elles achetaient elles-mêmes leur nourriture.

Selon un texte de 1462, l'« hôtel » de Toulouse était « grand et spacieux et possède plusieurs étages, chambres et autres maisons ; il est entièrement clos de telle manière que, de nuit, personne ne peut y entrer sans autorisation ». Le tenancier n'était pas seul à s'occuper de la garde du bordel. La municipalité, parfois des officiers royaux, assurait une surveillance extérieure. A Toulouse, par exemple, le bordel était protégé le jour par le sous- viguier, un « fonctionnaire » et la nuit par le capitaine du guet. Mais la différence entre surveillance extérieure et gouvernement intérieur n'était pas toujours claire. En 1433, par exemple, Pierre Darganhac, capitaine du guet, partageait avec une prostituée la ferme de la maison publique de Toulouse.

Les attitudes des pouvoirs urbains face à la prostitution semblent de plus être particulièrement taciturnes entre les XIIIème et XVème siècle. Pouvons-nous y voir une conséquence de la complexification du tissu urbain ? Une chose est certaine, l’Eglise, autre grand acteur de la ville est également partagé sur le sujet.

 

« la prostitution dans les villes est comme le puisard dans le palais : emportez le puisard et le palais deviendra un endroit malpropre et nauséabond ».

Saint Thomas d'Aquin qui reprit les propos de Saint-Augustin

Prostitution de la moralité religieuse à l’intégration sociétale

Dès le XIe siècle, elle commence ainsi à considérer la putain comme une « brebis égarée ». Elle autorise ensuite progressivement les formations corporatives du métier, avec les privilèges qui s’y attachent. Dans une bulle de 1198, Innocent III promet même la rémission des péchés aux hommes qui épouseraient une fille de joie. Entre la théorie religieuse et la réalité du terrain, une double position est adoptée par l’Eglise sur le délicat sujet de la prostitution, dans le discours, elle énonce qu’« une femme qui s’adonne à de tels actes doit se soumettre à une pénitence de six années. Son partenaire d’un soir devant, lui, accomplir un jeûne de dix jours », considérant par-là, la prostitution comme un mal, ce discours montre par la même occasion que sur le terrain, l’acte féminin s’avère être autrement plus grave que son pendant masculin, le mal se situe ici bel et bien du côté de la prostituée, mais dans un même temps, l’aggiornamento de l’église ou son adaptation de la tradition à l’évolution du monde fait entrevoir la prostitution à partir de la fin du XIIIe siècle, et ce, jusqu’au XVe, comme une pratique immuable, « un mal nécessaire » selon l’héritage de Saint Thomas d'Aquin qui reprit les propos de Saint-Augustin disant que « la prostitution dans les villes est comme le puisard dans le palais : emportez le puisard et le palais deviendra un endroit malpropre et nauséabond ».

Néanmoins, la doctrine de l’Eglise n’apparaît pas dépourvue d’ambiguïté en ce domaine, c’est ainsi que certains théologiens s’interrogent sur le statut de cette activité si particulière, comme Thomas de Cobham, archevêque de Canterbury qui estimait, au début du XIVème siècle, que les femmes « folles de leur corps » doivent être assimilées aux mercenaires, car « elles louent, en effet, leur corps et fournissent un travail. Si elles se repentent, elles peuvent garder les bénéfices de la prostitution pour en faire des aumônes. Mais si elles se prostituent par plaisir et louent leur corps pour connaître la jouissance, alors elles ne fournissent pas un travail et le bénéfice est aussi honteux que l’acte ». Thomas d’Aquin s’oppose à l’interdiction de la prostitution pensant que sur elle repose l’ordre public, mais aussi l’ordre privé. Tout d'abord, la prostitution permettait de canaliser la violence urbaine, à la lecture des registres criminels, en effet la concentration de jeunes célibataires, apprentis ou manœuvriers pouvait de ce fait provoquer de nombreux troubles sociaux, tel que bagarres, viols, cela d’une manière croissante avec l’essor urbains. Comme le montre Jacques Rossiaud ; « sacrifier ces femmes pour un bien supérieur, l’ordre public, dans la perspective du moindre mal », puisque « le mal » est reconnu comme « nécessaire », la Prostitution apparaît de fait intégré à la vie urbaine et en cela non rejeté par toute la société, mais il arrivait cependant que les prostituées subissent le courroux d’une partie de la population.

Lorsque la crise touchait la société urbaine : maladies, mortalité importante, mauvaises récoltes…, les citadins avaient souvent le réflexe de chasser les prostituées de la ville pour un temps cela dans le but de les conduire vers les voies de la pénitence purificatrice, il est cependant à noter que cet exil ne durait jamais très longtemps pour les filles de joie, le calvaire était ici perçu comme un purgatoire qui ne dure que le temps de la jeunesse, l’idéal étant la repentance comme Marie-Magdeleine en référence à la parole de Jésus, cela afin de sauver leur âme. Dans l’esprit de l’époque, les prostituées ne sont donc pas marginalisées, mais bien intégrées dans une société où elles ont un rôle à jouer, c’est pour cela que le phénomène tend à être institutionnalisé.

Si les responsables de l’ordre public organisaient déjà progressivement la prostitution depuis le XIIème siècle, c’est surtout à partir du XIVème que naît un certain réglementarisme du phénomène urbain, comme le souligne Jacques Rossiaud : « réglementer c’est reconnaître, accepter et intégrer ce qui peut demeurer une marginalité qui n’est pas à proprement parlé réprimée, mais dont les bornes sont nettement délimitées, circonscrites dans des espaces précis et contrôlés par la police urbaine ». Les réglementations qui fleurissent entre 1350 et 1450 portent autant sur la liberté de la prostituée que sur l’exercice de son métier, tel que dans de nombreuses villes, des codes vestimentaires étaient établis afin de les différencier les « dames honnêtes » et d’autre part de pouvoir les surveiller plus aisément et de sévir quand elles enfreignent les lois. Les prostituées devaient ainsi porter le plus souvent des rubans de couleur et à l’inverse, le port de manteaux de fourrure ou de soie leur est interdit tout comme les coiffes trop riches, comme par exemple à Paris, en 1462, un arrêté du prévôt interdisait aux « femmes dissolues » de porter broderie, perles, boutons dorés ou argentés, de fourrer leur manteau de petit-gris, il faut ajouter, due les sergents de la prévôté étaient chargés du contrôle, ils veillaient à la confiscation des objets de luxe et touchaient cinq sous par prise. Les relations entre les « filles publiques » et les pouvoirs de la ville sont à la fin de la période médiévale décuplées, dans chaque cité, des officiers étaient chargés de faire respecter les règlements en vigueur, d’enregistrer les filles et de les refouler si elles ne respectaient pas ces dits règlements enfin, les filles devaient souvent prêter serment aux autorités citadines de repousser les hommes mariés, de se refuser aux prêtres et aux Juifs et payer ou non selon les lieux une taxe sur leur activité.

Au XIVème XVème siècle, les prostitués deviennent pleinement sujets de droit et étaient soumises aux juridictions ordinaires. Elles pouvaient porter plainte pour une agression, pour une rixe et même pour un viol. A cette même période, des listes des rues où l’exercice était toléré sont dressées, les heures de « travail » arrêtées. On peut conférer une fonction sociale et même culturelle à la prostitution sans pour autant intégrer les prostituées, elles restent semi-marginales, en périphérie de la Société urbaine. L’intégration a pu aller très loin, les prostituées publiques participaient aux fêtes collectives, aux fêtes de famille ou de confrérie, dans ce même mouvement, il n’y a pas d’exclusion dans la mort, les prostituées pouvaient être inhumées dans un cimetière chrétien, cela changera avec la décision du Pape Pie V, en 1570, seulement.

La Prostitution au Moyen-Age, entre intégration urbaine et influences sociétales

Les autorités urbaines ont pleinement conscience que la prostitution est un moindre mal, et permet le règlement de tension, en particulier en regard des bandes de jeunes turbulents ayant le viol facile. C’est pourquoi la société médiévale tend à la réglementation et à l’intégration de la prostitution. Comme nous l’avons vu, il s’établit une première période à caractère répressif, mais sans guère d’efficacité, mêlée de tolérance empirique, jusqu’à la fin du XIIIème siècle. Puis dans une seconde période, avec la tolérance effective, surtout dans les villes du Sud, glissant même vers une institutionnalisation du phénomène, à la fin du Moyen-âge.

Néanmoins, les filles prostituées restent marquées du sceau de leurs impuretés, ce qui en dernière limite les renvois à une forme de marginalisation, fragilisant ainsi encore leur position se voyant attribuées de tous les maux de la Société, lorsque l’utilité publique en est. C’est de fait la société urbaine qui façonne la prostitution à son image et les groupes sociaux de la ville qui la génèrent en fonction de leur besoin. Si la prostitution est plus florissante dans les cités émergentes et prospères que dans les déclinantes, elle n’en reste pas moins dans toutes une dimension fondamentale de la société urbaine médiévale, dimension encore trop peu analysée par les historiens.

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